mardi 15 septembre 2009

Réponse à l’article « Rebonds : Terra Nova / La croissance » paru le 1er septembre 2009 dans Libération from Grégory Hadjopulos

Cet article est une réponse à l'article Dossier Terra Nova / Libération : Mieux partager la croissance publié dans Libération le 1er septembre 2009.


L’analyse informative de votre article est d’un intérêt certain, notamment sur les causes de l’inefficacité des mesures envisagées par le gouvernement pour relancer le pouvoir d’achat et revaloriser la valeur travail pour le plus grand nombre.

Les solutions qu’à votre tour vous proposez me laissent néanmoins dubitatif. En premier lieu, les mesures techniques pour augmenter le pouvoir d’achat des populations les plus pauvres. A cet égard, le fait que votre groupe de travail soit composé essentiellement de personnes ne vivant pas le quotidien d’un travailleur pauvre ou d’une personne en situation de précarité est peut être une lacune. La plupart des salariés dits pauvres sait parfois exprimer les problématiques liées à leur situation, et je me permets de vous en évoquer deux aspects :

    Contrairement à une idée reçue, l’idée de temps partiel subi ne concerne pas tout le monde. Beaucoup d’entre nous qui vivons dans la précarité avons conscience qu’en travaillant à plein temps pour un salaire très bas, nous n’augmentons pas forcément nos ressources nettes disponibles, car nous engageons plus de frais (transport, nourriture, garde d’enfants, …) et perdons certains avantages (diminution de l’allocation logement, non imposition sur le revenu dans certains cas), sans compter qu’en travaillant à plein temps, il est difficile de disposer de temps pour poursuivre une recherche d’emploi ou un projet permettant d’envisager de sortir de la précarité durablement. Je connais de nombreuses personnes qui ne souhaitent pas pour ces raisons dépasser leur temps partiel, sans compter l’épuisement physique ou psychologique qui découle de nombreux emplois, peu épanouissants et mal rémunérés, lorsqu’ils sont occupés à plein temps.

    Une fiscalité plus juste, comme vous le proposez, impliquant une taxation supérieure des plus hauts revenus est louable en soi. Mais lorsque vous vivez l’entreprise au quotidien depuis de très nombreuses années, que vous avez occupé des postes qualifiés, des fonctions cadres, que vous avez bénéficié de rémunérations 3 à 4 fois supérieures à celles que l’on vous accorde dans presque tous les cas aujourd’hui, vingt ans après, vous avez une certaine expérience des pratiques en vigueur : facilités à produire des avantages en nature, montages financiers et d’entités juridiques permettant de dissocier l’origine de l’argent produit, investissements dits productifs pour limiter la part visible des bénéfices et contenir la masse salariale, y compris dans le secteur associatif dit d’utilité publique. Notre pays a selon moi avant tout besoin de simplification de l’ensemble de son système fiscal et institutionnel, et d’une vision globale de la mise en place d’outils performants et justes, dans le cadre d’une refonte visant à réduire et non produire des cadres nouveaux.

Dans ce contexte, se servir de la technique pour rechercher des solutions ne me paraît pas très efficace pour transformer la société actuelle. Il est nécessaire de partir de postulats et d’idées réformatrices du système en cours et des mentalités. Et il me paraît indispensable de mettre la technique au service des idées innovantes et non les idées au service de la technique.

Je me permets de vous soumettre ici une idée :

L’entreprise à participation publique solidaire : EPPSO

Constat :

De nombreuses entreprises ferment, vendent, délocalisent, licencient, alors même que leurs carnets de commandes sont stables ou que leur activité reste profitable. D’autres cessent leur activité en laissant derrière elle un patrimoine économique qui sera perdu.

Les salariés perdent leur emploi le plus souvent dans un territoire où les perspectives de travail sont faibles voire inexistantes.

En parallèle, il existe une forme de société, la SCOP (Société Coopérative de Production) qui est représenté par environ deux mille sociétés en France. Ces entreprises d’un genre un peu particulier ont connu de très bons résultats dans l’ensemble, sont basées sur le partage des fruits du travail, et ont traversé jusqu’à présent la crise en cours sans trop de difficultés.

L’idée :

D’une manière générale, que l’entreprise arrête son activité sur un site suite à une cessation, une mise en liquidation judiciaire, une cession partielle, une restructuration, une relocalisation ou une délocalisation, l’Etat (via une structure définie et sous son contrôle), à l’image du domaine urbain, peut exercer l’équivalent d’un droit de préemption économique sur les actifs et l’activité de l’entreprise ou du site concerné, comme il existe un droit de préemption foncier ou sur les commerces.

Il s’agit en fait de définir un cadre légal dans lequel l’activité de l’entreprise peut se poursuivre si celle-ci est estimée viable, sans que les anciens propriétaires puissent s’y opposer au regard du droit de préemption, et ce sous certaines conditions (par exemple si l’entreprise a bénéficié d’aides publiques, si la cessation d’activité n’a pas de réelle cause économique, si le plan de reclassement est jugé insuffisant, si l’activité peut se poursuivre même partiellement sous une quelconque forme).

Ce cadre légal peut s’articuler autour de plusieurs idées :

  • Aucun repreneur n’a présenté un projet de reprise dont le mieux disant social soit attractif par rapport au plan de préemption économique.

  • Le plan de préemption économique est établi par les représentants du personnel et ses cadres en présence d’un médiateur institutionnel. Les membres du personnel peuvent alors détenir la majorité de la propriété de l’entreprise. Des partenaires extérieurs, personnes physiques ou morales, peuvent être recherchés.
  • Une partie du personnel peut cependant présenter un plan différent tant sur la nature de l’activité que le projet lié à l’activité de référence.
  • Le plan de préemption économique a pour objet la poursuite de l’activité dans des conditions analogues à l’activité existante ou dans des conditions permettant à terme la viabilité du projet.
  • L’Etat détient une participation symbolique (provisoire ou durable), via un organisme de contrôle à caractère éventuellement financier, pouvant se limiter à la plus petite part du capital ou à un droit de blocage décisionnel Il peut ainsi agir sur les acquéreurs potentiels du capital à objet purement financier.
  • Le plan de préemption économique prévoit une redistribution de la masse salariale répondant à des règles à plusieurs niveaux :

      a) Les salaires et le temps de travail minimum sont fixés conformément aux dispositions permettant à toute personne exerçant une activité de pouvoir subvenir à ses besoins minimums courants (Salaire d’Activité Suffisant) SAS. De ce fait, tout employé échappe à la notion de travailleur précaire. Les associations portant sur l’insertion, l’aide et le service à la personne, pourraient bénéficier d’un tel cadre. Certaines activités ont déjà fait leur preuves en des domaines proches, comme Emmaüs Défi.

      b) Les cadres ne peuvent percevoir sous forme de salaires une rémunération correspondant à plus de x fois le SAS. Le terme cadre solidaire est attribué à toute personne rejoignant l’entreprise et acceptant cette condition, favorisant ainsi l’emploi auprès des chômeurs longue durée, des diplômés ayant une expérience professionnelle réduite, des personnes expérimentées ayant des difficultés d’embauche pour des raisons d’âge ou de discrimination.

      c) Les résultats de l’activité sont répartis entre l’investissement et la part complémentaire revenant aux salariés de l’entreprise, et soumis à un taux d’imposition global pour le contribuable résultant de l’IR.

La nature même d’une structure EPPSO donne des droits et des devoirs à la nouvelle structure. Ses règles sont régies par un souci de modernisation et de moralisation de l’économie et du travail en entreprise.


En conclusion :

De nombreuses entreprises disparaissent laissant derrière elles des situations humaines et économiques irréversibles, mais aussi des actifs mobilisés ou immobilisés non réutilisés ou liquidés de manière aléatoire, alors même que ceux-ci peuvent répondre à un besoin. L’idée est de donner la possibilité aux salariés de l’entreprise ou à un acteur économique extérieur de poursuivre si possible l’activité dans un cadre répondant à des critères économiques et des valeurs proches du travail et non de la spéculation financière. Une forme de capitalisme collectiviste ?

Grégory Hadjopoulos
ghadjo@hotmail.com

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