jeudi 14 avril 2011

Soyons indignés !


Témoin et acteur de notre histoire, Stéphane Hessel fédère par son engagement politique et citoyen, mais aussi par son sens du slogan et son admirable rhétorique. Les critiques engendrées par un succès phénoménal, les tentatives de censure et les polémiques dont il a fait l’objet n’entravent en rien son enthousiasme et son envie de s’engager pour les jeunes générations.


La rock star de ce début d’année 2011 a 93 ans. Fort d’un succès médiatique aussi inattendu que réconfortant, Stéphane Hessel croule sous les demandes et ne sait plus où donner de la tête. Tout le monde se l’arrache ! Le secret de sa réussite réside dans deux mots et un impératif : « Indignez-vous ! ». « Nous vivons dans un monde [qui a causé] la dégradation de la planète (...) [et] les écarts insupportables entre les immenses pauvretés et les immenses richesses. (…) mon indignation se présente comme un appel à l'autre à s'indigner », explique Stéphane Hessel lors d'une rencontre à la librairie Tropiques[1]. Déjà vendu à 1,6 million d’exemplaires dans 17 pays, ce "petit livre", comme il se plaît à le nommer, a trouvé écho auprès d'une opinion publique déroutée par la politique anti-sociale, ultra-sécuritaire et xénophobe de son gouvernement. Résistant de la première heure, rescapé des camps de la mort puis diplomate à l’ONU, Stéphane Hessel a assisté à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948. Militant de la première heure, il continue aujourd'hui à s'engager pour les mal-logés, pour les sans-papiers, pour le peuple palestinien dont il dénonce les conditions de vie en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. « (...) la violence n'est pas efficace. (…) la non-violence est à mon avis historiquement la preuve que l'on peut changer les choses sans se battre violemment.[2].

Les limites de l’engagement citoyen

Dans son engagement pour la Palestine, il soutient la campagne internationale BDS  (Boycott Désinvestissement Sanction). Les militants de BDS invitent les consommateurs et les citoyens à ne pas acheter les produits importés des territoires occupés par Israël. « Il s'agit, dans cette résistance pacifique, d'un problème politique auquel nos dirigeants ne peuvent se soustraire (…). Il est insupportable de voir criminaliser des militants de la paix. » Ses prises de position contre le gouvernement israélien et son soutien déclaré à la campagne BDS ont parfois valu à Stéphane Hessel d’être accusé d’antisémitisme. « Israël m’est très cher, pour des raisons que vous comprenez, je suis d’ascendance juive. J’ai vu la naissance de l’Etat d’Israël. Au moment-même où nous apprenions les horreurs de la Shoah, je voulais qu’Israël soit créé. J’étais là quand on l’a créé. Et je suis furieux qu’un certain nombre de dirigeants israéliens mettent en cause aujourd’hui le bon renom d’Israël.[3] En janvier un débat sur la Palestine auquel il devait participer et qui devait avoir lieu à l’Ecole Normale Supérieure a été annulé par la direction de l’établissement, posant la question des limites de l’engagement citoyen.

Après les rétractations du juge Goldstone dans une tribune du Washington Post, dont le rapport accusait l’armée israélienne ainsi que le Hamas de crimes de guerre voire de crimes contre l’humanité lors de l’opération Plomb Durci, Stéphane Hessel est même convié à "rectifier" son ouvrage. Il y invitait ses lecteurs à lire le rapport Goldstone pour prendre la mesure des souffrances du peuple palestinien. Le journaliste Ivan Rioufol se demande, quant à lui, sur son blog du Figaro, si Stéphane Hessel va s'excuser.

Un succès qui dérange

Indéniablement l’omniprésence et la "canonisation" médiatiques d'un Hessel "providentiel" commencent à faire grincer les dents de plus d'un. Après l'encensement unanime, la célébration déférente, les regards se sont faits soudain plus critiques. Un tel succès, ça éveille forcément la méfiance, la suspicion voire le doute et la remise en question systématique. En vrac, nous avons eu droit à une chronique de l'auto-proclamé philosophe Luc Ferry dans Le Figaro du jeudi 6 janvier 2011, qui ne voit dans l'indignation de Stéphane Hessel qu'un « ressentiment dont on se sert toujours pour, abaissant les autres, se rehausser soi-même et s'offrir sans effort des poses de moraliste ». Un J'y crois pas !, publié le 1er mars dans le même format, qui se veut une réponse à Indignez-vous !. Proche d'un obscur parti politique de droite (le parti de l'In-nocence), le jeune auteur, dissimulé sous le pseudonyme d'Orimont Bolacre, dénonce des « indignations suggérées par M. Hessel un peu prévisibles, et surtout nettement sélectives[4]. Dans le même esprit, le site du Monde publiait une lettre ouverte le 10 février 2011. Commençant par « Cher compagnon de combat », elle est rédigée par un ancien engagé volontaire des Forces françaises libres qui s’exclame : « M. Hessel, vous ne m'apparaissez pas fidèle à l'universalité de nos valeurs ».

Qu'un "opuscule", "fascicule", j'ai même lu "tract", d'une vingtaine de pages soit titré Indignez-vous !, qui plus est de la part d'un ancien Résistant, et c'est l'effervescence. Que ce monsieur vendent plus de 500 000 exemplaires en France, qu’il soit cité en exemple et pris pour référence, qu’il suscite un engouement populaire, et tout de suite, on se sent investi du devoir de dénoncer l'alignement de "lieux communs sans grand logique", "des slogans creux", un texte" construit sans pensée logique"[5], bref la supercherie. On reproche à l'ouvrage le manque de profondeur et d'ambition qu'il ne prétend pas avoir. Vendu au prix de 3€, ce qui a également contribué à sa large diffusion, (prix de vente sur lequel Stéphane Hessel ne touche pas un centime, il est quand même bon de le rappeler), cet Indignez-vous ! revigorant, lâché comme on éructe en pleine colère, est né à la suite d’une commémoration sur le plateau des Glières, d’un besoin de transmission. Urgent, impétueux. Qui n’avait d’autre vocation que dire pourquoi la révolte, pourquoi l’indignation en quelques pages ; rendre accessible le parcours d’une vie résumé à quelques étapes clés.

Trop politiquement correct pour la presse qui se complaît à emprunter les contre-courants pour avoir l’air d’exister intellectuellement. Trop fédérateur pour les tenants d’une critique qui se veut dans le déni automatique pour se sentir être quelque chose. Quoi ? On ne sait pas. Bref, pas assez subversif pour être à la mode de chez nous, les ceux-qui-pensent-pas-comme-la-plèbe. La fraîcheur et l’ingénuité de Monsieur Hessel font plaisir à voir face à ces déversements de fiel. Pour sa part, il prend la critique avec bonhommie tout en donnant une suite logique à cet appel à l’indignation. Comme pour couper court aux polémiques, il vient de publier Engagez-vous ! qui est la suite naturelle d’Indignez-vous !. Co-rédigé sous la forme d’une conversation avec Gilles Vanderpooten, militant écologiste, l’ouvrage « nous livre des pistes pour agir, et s’engager »[6].

Et personnellement, je ne vois pas en quoi un homme qui a toujours milité pour la paix ne serait pas en droit de postuler au Prix Nobel de la Paix.[7]








[2]Ce soir ou jamais
[3]ibid
[4] in fnac.com
[5]Citation tiré d'un article de Marianne du 9 janvier 2011
[6] in fnac.com
[7] Edgar Morin, Michel Rocard, entre autres, ont signé une tribune dans Le Monde du 6 avril 2011 appelant à décerner le Prix Nobel de la Paix à Stéphane Hessel.



in: L'ivre

4 commentaires:

Jean-Pierre a dit…

C'est ton côté vieille dame ?

Filip a dit…

Est indigné que certain pense l'indignation comme une mode ;-P

Urbanus a dit…

se prosterne...

Jacques a dit…

ben voilà, je suis indigné ! ;-)