jeudi 22 janvier 2009

Ce jour-là...

Je suis en train de lire le dernier ouvrage de Gisèle Halimi, un retour sur son parcours féministe qu'elle a intitulé Ne vous résignez jamais. J'en reparlerai mais la lecture de cet ouvrage m'a permis de découvrir une figure du militantisme et du féminisme que je ne connaissais que de loin comme ayant été l'avocate du FLN et ayant défendu une mère et sa fille accusées d'avortement et complicité d'avortement lors du procès de Bobigny, en 1972.

Je découvre une femme intransigeante avec ses idéaux, avec ses valeurs, qu'elle a appliqués avec une constance et une minutie remarquables, à la différence d'une Simone de Beauvoir qu'elle a connue et sur laquelle elle s'interroge avec beaucoup de finesse et de justesse.

Le premier chapitre intitulé "Ce jour-là..." s'ouvre par une très belle page sur la vieillesse et se poursuit par une analyse de son rapport à l'écriture dont je ne peux m'empêcher de vous faire partager un extrait.



Photo Wikipedia

J'ai toujours écrit. Ce besoin a commencé de me tarauder dès l'âge de neuf ou dix ans. Et ne m'a jamais quittée, quels que soient les trop-pleins de verbes, d'actions, d'urgences.

Le soir, quelques lignes ou quelques pages, c'est selon. Un journal dit-on.

Pour moi, tellement d'avantage. Des repères, des jalons, des questionnements. que je revis, en façonnant les mots, en recherchant avec ma plume celui qui, dans ses syllabes, son dessin, sa musique me replongera, intacte, dans une tranche de vie. Ajuster ma pensée et mesurer mon action par l'écriture. Qui, en même temps, me restitue mes émotions, mes sestations. Elle les grave en moi et emplie les strates des projets, des expériences, des bilans (toujours provisoires...).

Mais plus qu'une relation des faits ou une simple réflexion, j'ai toujours noirci, à la plume Sergent-Major avant le stylo-feutre glissant, des pages, innombrables (heureusement secrètes), construisant/déconstruisant les scénarios de mes engagements. La remise en question permanente, la stratégie d'un choix et sa justesse, qui s'imposent comme une donnée immédiate dans un procès politique, dans une manifestation ou même dans la simple signature d'un appel dit de "personnalités", m'obligeaient, m'obligent toujours, on le voit, à passer par l'écriture pour comprendre et me comprendre. Ecrire, c'est pour moi savoir agir, Mais aussi donner un autre regard sur l'auteur(e), en le déviant sur les autres. Prolonger, au-delà de lui, d'elle, le débat, le combat, la compréhension de notre monde.

(...)

Au fil des ans, le lien écriture/action me sera devenu un véritable besoin, un moyen de me replacer, de me rééquilibrer.

(...)

Paradoxalement, écrire combine pour moi l'exigence d'une certaine solitude, de ce que j'appelle "mon exil d'écriture" et une descente constante dans l'arène.

Pendant l'exil, je me sens étrangement étrangère à moi-même. A ce qui pourtant tisse le quotidien de ma vie. La défense, l'engagement féministe, l'option politique et même l'affectivigté amiliale ou amoureuse ne me parviennent qu'en écho. Mais un écho impérieux de la présence des autres dans la réflexion et l'action. Ecrire est un métier solitaire. Mais il ne m'a jamais isolée par une sorte d'étanchéité au monde. L'individu non relationnel, ignorant tout de l'altérité active, se pose seulement sur le monde. Il n'en fait pas partie. Ecrire m'oblige à rationaliser mes choix fondamentaux. Féminisme, défense et justice, politique. M'oblige à comprendre leurs liens, leur proximité transversale, leur chronologie mêlée. Donc me place à l'opposé du rempli sur soi-même, du rejet des autres. Qui ne m'aurait pas permis de me rencontrer. Tant il est vrai que "le plus court chemin de soi à soi passe par autrui". Jean-Paul Sartre - "l'enfer, c'est les autres" - s'opposait-il radicalement à l'humanisme de Paul Ricoeur ? J'essayais, pour moi-même, pour mon harmonie intérieure, d'interpréter, de réconcilier ces deux philosophies qui m'étaient proches et dont je refusais l'antinomie. Exercice difficile.

Au fond, écrire m'a aidée autant à me construire que plaider et défendre.

Avec toujours, se profilant, la difficulté de trier. Mais en même temps, j'écris pour la surmonter. Je m'astreins à coller, par les mots, de raison et de folie, à une ligne dessinée déjà dans l'enfance.

Ne vous résignez jamais, Gisèle Halimi, Plon, 2009.

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