mercredi 11 février 2009

Gisèle Halimi ne se résigne pas

Thématique plus qu’autobiographique, le dernier livre de l’avocate féministe et militante des droits de l’homme égrène plus de quarante années de combats menés pour le droit des femmes en France et recense ceux qu’il leur reste à mener.

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« [...] c’est sur "mon" féminisme, solitaire dans la pensée, collectif dans l’action, que je veux m’interroger. » p.59.

Pas une autobiographie, pas un manifeste non plus, Ne vous résignez jamais de Gisèle Halimi résonne comme une injonction et lui permet de revenir sur le moteur principal de sa vie : le refus de la résignation. A travers cet ouvrage-miroir, qui évoque son féminisme, instinctivement chevillé au corps depuis l’âge tendre, Gisèle Halimi analyse la condition des femmes dans le monde, millénaire, intrinsèque à leur sexe. « Intuitivement, il m’avait toujours semblé que les femmes étaient plus aptes à modeler le futur que les hommes, auxquels le monde était donné, à la naissance. A condition qu’elles y prennent leur place. » p.85.

Tout commence en Tunisie, terre d’origine, terre nourricière et en même temps d’oppression pour les femmes, en particulier Fritna sa mère, qui tente de lui inculquer la soumission. Mais la jeune Gisèle se rebelle. Cela commence par sa propre prise de conscience, violente car personnelle, vécue au quotidien : la différence de traitement d’avec ses frères dont elle doit laver le linge, la vaisselle et qu’elle doit servir. Pour protester, la jeune Gisèle entame une grève de la faim et obtient gain de cause. Elle réussit par la suite à refuser un mariage arrangé à l’âge de 16 ans et parvient à imposer sa volonté de poursuivre des études. « Je me suis appropriée le féminisme par bribes à partir de ma vie, d’expériences concrètes et de durs constats. Un féminisme balbutiant ses premiers liens avec la politique, à commencer par la décolonisation. » (p. 23)

« Mon féminisme est né d’une révolte », explique-t-elle, à la différence d’une Simone de Beauvoir qu’elle côtoiera très tôt dans son parcours militant. Issue d’un milieu petit-bourgeois, encouragée dans les études, la philosophe possède cependant la capacité d’appréhender et d’embrasser intellectuellement la souffrance des femmes.Une Simone de Beauvoir dont Gisèle Halimi dessine un portrait bien éloigné du consensus qui entoure habituellement l’écrivaine et dont elle souligne d’abord avec clairvoyance une étonnante dichotomie : « Elle refusait toute approche personnelle, voire amicale, avec celles et ceux dont elle partageait l’espérance. Ils, elles s’estompaient dans la généralité du combat. Sans parler d’abstraction, on peut, je crois, dire qu’elle ne voyait dans les personnes que des révélateurs, des symboles d’une cause. » (pp. 27-28).

Plus loin, le portrait du célèbre Castor (surnom donné à Beauvoir par Sartre) se fait encore plus tranché et Gisèle Halimi s’interroge sur sa sa schizophrénie. Elle-même vit ses convictions dans sa chair, et applique à sa propre vie les principes qu’elle prône. Elle peine dès lors à reconnaître la même personne dans l’auteure du Deuxième Sexe, raisonnable et intransigeante et l’auteure d’une correspondance passionnée avec Sartre ou l’écrivain américain Nelson Algren, son amant pendant plus de quinze ans.

Paradoxalement, cette féministe convaincue n’a eu que des garçons. C’est aujourd’hui en pensant à sa petite-fille et pour l’accompagner qu’elle se raconte et mesure le chemin qu’il reste aux femmes à parcourir pour enfin évoluer dans une société égalitaire entre les hommes et les femmes.

« [Ce récit] veut aussi rappeler aux jeunes femmes qu’en défiant le pouvoir (Manifeste des 343) et la loi (le procès de Bobigny) leurs aînées n’entendaient pas seulement octroyer un droit aux femmes mais les aider à devenir sujet de leur vie. » (p.69)

Avocate et militante féministe, Gisèle Halimi fonde l’association CHOISIR-La Cause des femmes avec le soutien de Simone de Beauvoir en 1971 après avoir lancé le Manifeste des 343, tendrement surnommé "des 343 salopes". Les signataires de ce manifeste, des personnalités publiques mais aussi des anonymes, s’y accusent d’avoir eu recours illégalement à l’avortement. L'année suivante, elle a organise la défense du procès de Bobigny, point culminant de la revendication à l’avortement libre. En 1978, c’est le procès d’Aix-en-Provence qui lui donne l’occasion de militer pour que le viol soit jugé comme un crime.

Son parcours d’avocate et de militante des droits de l’homme est indissociable de son combat féministe, dans le sens où elle assimile l’homme humilié, à qui ses droits sont déniés, à la perpétuelle position sociale de la femme. « Le colonialisme me fut une leçon de choses, une leçon d’Histoire, mais, surtout, par ses inégalités et ses humiliations, un prototype du rejet sexiste. » (p. 160). En 1956, elle fut l’un des principaux avocats du FLN algérien avant de présider la Commission d’enquête du Tribunal Russel sur les crimes de guerre américains au Viêt-Nam en 1967.

Son expérience politique en tant que députée, de 1981 à 1984, lui permet de porter ses revendications et celles de son association jusque dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale. Elle se prononce déjà pour la parité en politique en faisant voter un amendement qui institutionnalise les quotas. Il sera cependant mis en échec par le Conseil Constitutionnel, presque vingt ans avant la loi sur la parité votée sous Jospin. Elle plaide également pour le remboursement de l’IVG, contre les mères porteuses, lance l’idée d’un congé parental partagé qui rendrait leur vie sociale aux femmes. Mais la proposition ne sera jamais discutée. « L’actuel congé parental de notre Code du travail, ni sérieusement rémunéré, ni obligatoirement alterné, est un leurre. » (p. 157)

Toujours avocate et toujours militante, Gisèle Halimi assure aujourd’hui la défense du leader palestinien Marwan Barghouti, actuellement détenu en Israël.

Le propos du livre insiste sur une indépendance d’abord financière comme garant inconditionnel de l’autonomie sociale des femmes, et dénonce la précarité qui renforce la soumission et la perpétuelle résignation. Et Gisèle Halimi de pousser la réflexion jusqu’à la question du conditionnement originel : « [...] l’amour physique transforme-t-il une femme libérée, indépendante, féministe active, en femelle ? » (p. 138) Une sérieuse introspection lui permet de trancher et de concevoir le fait que l’amour peut ne pas être une aliénation.

Pour faire court et simple, avant 1968 et la révolution sexuelle, le corps des femmes ne leur appartient pas. « Si l’homme est son corps, la femme, coupée d’avec lui, se dédouble. » (p 67) Avant l’avènement de la pilule contraceptive et l’autorisation de l’avortement en France, les femmes sont limitées dans leur épanouissement sexuel par l’angoisse de la grossesse probable, vécue comme une véritable sanction. Cette possession du corps de la femme par elle-même est analysé sur plusieurs chapitres qui questionnent la maternité, le désir d’enfant (avec lequel Gisèle Halimi n’est pas tendre), la prostitution, la violence conjugale, le travail partiel, l’asservissement des tâches ménagères qui génère des doubles journées et la quasi-totale fermeture de la sphère politique au sexe féminin. « La parité domestique, par exemple,[est l’]essentiel partage dans le couple des tâches du foyer car elle conditionne, en grande partie, l’intégration politique de la citoyenne à part entière. » (p. 206). Et l’auteure de trancher par ailleurs : « En l’état, la parité ne répond pas à l’espérance féminine. »(p. 205)

« Sanctionner le racisme, le négationnisme, n’a pas semblé attentatoire à la liberté d’expression. Sanctionner le rejet, le mépris, l’instrumentalisation, la commercialisation de la femme, oui. On peut le comprendre. Pour continuer de dominer les femmes, le patriarcat a besoin de la perpétuation de schémas infériorisants et d’images dégradantes. Et puis "business is business", même s'il se pare du masque des libertés. » (p. 208).

Pour Gisèle Halimi, la liberté de la femme passe donc par trois conditions sine qua non : son corps lui appartient, l’indépendance économique lui permet de choisir sa vie, la parité politique lui garantit une action citoyenne.

Elle milite aujourd’hui pour l’Européenne de demain. Le séisme du double « non » au traité constitutionnel européen lui permet de réactualiser un projet politique qui lui tient à cœur depuis longtemps : la Clause de l’Européenne la plus favorisée. Il s’agit de recenser entre les 27 membres de l’Union, les lois « concernant spécifiquement les femmes » qui proposent les meilleures avancées en matière des droits de la femme afin de les appliquer à toutes. Vaste programme, l’ampleur de la tâche est considérable si l’on tient compte des susceptibilités culturelles et économiques de chacun.

A plus de quatre-vingts ans, Gisèle Halimi continue à ne pas se résigner. « J’ajouterai [que la résignation] simplifie à outrance le quotidien, l’aplatit, le déforme, et tout – discrimination, injustice – se fond alors dans l’invisibilité. Même le malheur. Telle est la triste force de l’acceptation comme règle de vie. » (p.240)

Ne vous résignez jamais, Gisèle Halimi, Plon, 2009. 20,90 €.

Texte écrit pour le site Bakchich info.

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