jeudi 15 janvier 2009

Qui êtes-vous Linder ?

Qui est-elle ? Une artiste. Assurément. Une chanteuse ? Encore un peu. Une visonnaire ou seulement une vision sur son époque. Une amie chère. Une femme. Une féministe. Une militante ? Pas vraiment. Une fille de son temps, qui dégageait une puissance érotique qu'elle même avait du mal à canaliser, qui faisait courir vers elle et sa maison bohême tout le gratin de la cinglerie mancunienne des late 70's. Une punk.

J'ai découvert Linder à travers ce qu'on disait d'elle dans un livre feuilleté entre deux étals de la librairie Parrallèles à Paris. Le livre de Johnny Rogan, The Severed Alliance, honnis par le principal intéressé, Morrissey, ex-chanteur des Smiths, ex-pygmalion et actuel rentier de la scène pop des 80's, était assez explicite et en même temps tellement plein d'ellipses pour que j'imagine cette femme comme une Nico éthérée (ce qu'elle n'était évidemment pas), plus préoccupée de son art que des adorateurs pâmés qui fleurissaient sur son passage. Aucune photo, aucun document sonore et pourtant il y avait matière à. Après avoir refermé le livre, Linder m'apparaissait comme un concentré de mystère, une personnalité totalement underground, une essence de bizarre, un parfum de souffre, et beaucoup de fantasmagorie.

Linda Mulvey était encore étudiante en art à la Polytechnic de Manchester quand elle s'est appelée Linder. Elle habitait dans le quartier chaud de Whalley Range, une maison surnommée "the home of the bedsit" au 35 Mayfield Road avec son petit ami, Willie Trotter. Très vite, leur repaire est devenu le lupanar des jeunes pousses musicales locales. Avec Willie, bassiste de son état, elle forme bien vite le groupe Ludus (le jeu en latin) qui deviendra une sommité de la scène punk locale, et met son art au service des Buzzcocks pour qui elle designe des pochettes, comme celle-là.



Elle sympathise avec un jeune homme timide, inaltérablement attiré par la scène punk, qui, pour le moment se contente d'être crititque rock en dilettante pour d'obscurs fanzines et accessoirement le chanteur de l'éphémère Nosebleeds, dont le batteur est aussi celui de Ludus. Avec Linder, Morrissey tombe amoureux (peut-être), passe son temps à errer dans Whalley Range mais surtout parmi les tombes de Southern Cemetery dans le quartier de West-Didsbury sur lesquelles ils rejouent les scènes de Billy Liar. La légende et l'anecdote s'arrêtent là.



Car si elle est aujourd'hui surtout connue des fans de Morrissey comme étant sa seule véritable amie, pour les pochettes qu'elle a réalisé pour lui et les photos qu'elle a prises, Linder a sa fascinante histoire à elle. Tête chantante de Ludus, elle était également une tête pensante, imprégnée du féminisme ambiant. Pour commencer, elle avait adapté le célèbre poème de Sylvia Plath, Daddy. De plus, sur une réédition de 2002 d'un double EP de Ludus, on trouve des titres aussi éloquents que The Visit, The Seduction, le très étonnant I Can't Swim I Have Nightmares, durant lequel elle s'écrie à plusieurs reprise qu'elle est 'in control". Le très bizarre Mother's Day parcouru de cris tribaux, ou encore Anatomy Is Not Destiny, Unveiled (A Woman’s Travelogue) et Herstory.



Son écriture est féroce et lyrique. Portée par la musique de Ludus, elle évoque l'intériorité et la place terrifiante occupée par les femmes dans le monde moderne. Son graphisme et ses collages également.

Linder
Pretty Girl Series
2006
Courtesy Stuart Shave/Modern Art, London


Très influencée par l'oeuvre de Pénélope Shuttle et Peter Redgrove, The Wise Wound, elle avait conçu une collection de bijoux menstruaux à base de tampons périodiques trempés dans de l'encre rouge. (Il paraît qu'elle avait fait une tentative avec du sang auparavant, mais la coagulation ne rendait pas comme il fallait). Il s'agissait de déplacer le concept du cycle féminin et le phénomène de la menstruation hors de la seule sphère biologique, dans laquelle ils sont relégués, pour en faire une expérience sacrée qui recouvre et célèbre les secrets de la féminité. Une pratique ancestrale si l'on en croit les auteurs qui expliquent dans un chapitre intitulé "Does The Moon Menstruate ?" qu'il y a 4 000 ans, les hommes fabriquaient déjà des bijoux menstruaux.

Le sommet de la brève carrière de Ludus reste indéniablement leur unique concert à l'Haçienda, salle mythique de Manchester, sur laquelle Linder est apparue vêtue d'une robe confectionnée avec de la viande crue qui s'ouvrait sur un énorme godmichet noir, tandis que ses copines de City Fun, un magazine d'art mancunien, jetaient des abats de poulet emballés dans des pages de magazines gay, sur le public, depuis le balcon. Des tampons et des cigarettes tachés d'encre rouge avaient grâcieusement été disposés dans les pissotières.

Pourquoi la carrière de Ludus est-elle morte-née, bien que le groupe soit remonté sur scène il y a quelques années ? Pourquoi Linder, aujourd'hui Linder Sterling, est-elle restée dans l'ombre bien qu'elle soit encore un peu une artiste parfois exposée ? Certainement parce qu'aussi bien qu'elle ne jouait pas de sa sensualité et de son pouvoir d'attraction sur son entourage, elle a refusé de se laisser aller à la facilité du succès, ni peut-être de se laisser asservir par l'industrie rock. Certainement aussi parce que Linder est de ces personnes qui drainent des possibles qui ne se réalisent pas. Plus inspiratrice que Pygmalion, elle promène un goût d'inachevé, ne tient aucune place ni dans le monde de l'art, ni dans celui de la musique. Seule l'amitié a su demeurer indefectible.

5 commentaires:

Myu a dit…

bel article bien fouillé. merci de nous cultiver et de nos faire découvrir de nouvelles choses ^^

Angelina a dit…

Merci Myu pour cet adorable commentaire.

Philippe a dit…

j'aime beaucoup ton article, tu écris trés bien. Il faut que je m'inscrive sur ton blog...impératif

Angelina a dit…

Merci pour ce joli compliment.

Nathanaël a dit…

Je devrais venir fouiller chez toi plus souvent... Moi je l'ai découverte récemment en lisant "Manchester Music City" de John Robb....

PS : c'est quand tu veux pour le kidnapping.... :D