dimanche 26 septembre 2010

Entretien avec un cyborg (2ème partie) from Z'arno

Lire la première partie.


La main encore humide, maculée de ses effluves de jeune homme pubère, il reprit ses esprits quelques secondes plus tard, ouvrant à nouveau les yeux pour constater, troublé, que la page du film avait laissé place à un écran noir, vide, seulement éclairé par le clignotement lancinant d’un curseur blanchâtre. Ses deux sourcils essayèrent de se rencontrer, en vain, donnant naissance à un repli de peau chargé de contrariété. Tout en remontant son pantalon il essaya de redémarrer sa machine en pressant le bouton d’alimentation. En vain, toujours. Le curseur énigmatique scintillait toujours en haut à gauche de l’écran, ne faisant qu’accroitre le trouble du jeune homme.

Machinalement, il vint coller son oreille au boitier de la machine, découvrant avec effroi des grésillements inhabituels, sorte de symphonie électrique qui parcourait les chipsets et autres composants électroniques. Comme si elle avait été dotée de facultés humaines, la carte mère se mit à hurler des bips distordus dans tous le boitier tout en conduisant la rotation des ventilateurs à une vitesse démentielle. Keryann recula d’un mètre, instinctivement, avec cette angoisse panique primitive, reptilienne, qui prépare le métabolisme au danger imminent. Tétanisé, il s’apprêtait à débrancher la prise de courant quand le faisceau du moniteur oscilla par intermittences jusqu’à ce que le curseur blanc prenne le relai et se mette, cette fois, à courir frénétiquement de gauche à droite.

> Réseau inconnu / Processus inconnu.
> Requête adressage incomplète. Essai mappage réseau…

> L’essai a échoué.

> L’appareil doit-il être détruit ? Oui (O) ou Non (N). Appuyez sur une touche…


Un sursaut matérialiste vint au secours de Keryann qui se précipita pour appuyer sur Non. Une panne, il pouvait encore l’admettre. En revanche, mettre hors-service son matériel l’horrifiait au plus haut point. Les doigts tremblants, les yeux fixes exempts de tout clignement, il restait là à clicher le curseur de ses deux pupilles noires et dilatées.


Photos: copyright Maria Klonaris/Katerina Thomadaki.
Tous droits réservés.



Bonjour.


Bonjour, rétorqua Keryann à l’écran en saisissant les lettres sur le clavier.

Cette présence dans la boucle d’amplitude temporelle est impromptue et non requise.

Il leva les yeux au ciel, à la fois gêné et transi de peur. Quelque chose d’impalpable et d’indescriptible lui intimait que ce qui était en train de se passer n’était pas un gag, ni quelque chose de commun. Encore excité par sa séance de porno-branlette, il répondit à nouveau. Le son de ses doigts pressant les touches du clavier couvraient partiellement ce qu’il murmurait :

À qui ai-je l’honneur ?

[SPIRITUS SANCTUS X-939]. Surveillance globale de la boucle d’amplitude temporelle. Secteur A-2.Cette présence dans la boucle d’amplitude temporelle est impromptue et non requise.

Vous vivez aussi à New-York ? Comment avez-vous investi mon unité centrale ?

J’évolue dans le Secteur de surveillance globale de la boucle d’amplitude temporelle. Sub-secteur [A], numéro de box [2]. Cette présence dans la boucle d’amplitude temporelle est impromptue et non requise. Destruction de l’entité réseau envisagée.

Il s’arrêta de taper un moment. Visiblement il était en train de parlementer avec une intelligence artificielle située on ne sait où, venue on ne sait comment. Il était inquiet, tout autant que fasciné, par la façon dont son micro-ordinateur s’était retrouvé sous le contrôle de cette entité. Il se mordilla les lèvres et décida de poursuivre :

Ok. Je m’appelle Keryann. J’ai dix-huit ans et je vis aux abords de Sunset Park, pas loin de la 5ème.

Cette zone a été annexée. Vous devez être un préexistant antéhistorique.

Je vous demande pardon ?

Votre présence dans la boucle d’amplitude temporelle est anormale. Votre réseau actuel ne devrait pas vous permettre d’atteindre la boucle d’amplitude temporelle. Vous êtes sujet à un accident de réseau de catégorie [6]. Je me trouve actuellement dans le secteur [A] de surveillance du réseau.

Excusez-moi, mais… À tout hasard, vous pourriez peut-être m’en dire davantage ? Répondit Keryann complètement possédé par cet échange, à un tel point que depuis des mois, ce moment était le premier où il ne pensait pas continuellement à Cassandre.

Je suis [SPIRITUS SANCTUS X-939]. Nous sommes des Cyber-Organismes produits en série en vue d’assurer la surveillance ainsi que la sécurité du réseau. Ma tâche est de traquer les Hackers et les Post-Insurgés afin de les désactiver. Et vous, quelle est vôtre tâche ?

Bonne question l’ami… Bonne question. Je n’ai pas la moindre idée de ce que je vais faire de ma vie future, et encore moins de ma vie présente, c’est dire. Je n’arrive même pas à culbuter Cassie… T’as pas ce problème je suppose, hein, tu dois bien avoir un programme de jouissance intégré.

[Cassie>prénom femelle>Archivé]. Votre utérus artificiel est peut-être en panne, je vous suggère de prendre contact avec le centre de procréation le plus proche.

Non tu n’y es pas. J’ai juste envie de la sauter, tu comprends ? De la secouer, de la baiser et de frimer après, appelle-ça comme tu veux. Elle me rend dingue, écrit-il en écrasant les touches.

Données manquantes.

Laisse tomber, grogna-t-il en abordant un autre sujet. Mais j’y pense, Spiritus Sanctus, si tu es après, tu peux peut-être m’aider à comprendre avant ? Autrement dit maintenant ?

C’est tout à fait possible. Le numéro de votre année actuelle ne me dira rien. Le comptage du temps a été réévalué et je ne possède pas la connaissance chronologique d’avant l’[An I]. Dans quel état se trouve le monde où vous évoluez ? Le processus de civilisation est-il [Safe] ?

Tu rigoles. Comment veux-tu que je te décrive les mutations simultanées que nous vivons actuellement ?

Comme s’il avait été un Cyborg lui aussi, Keryann mobilisa toute son attention, toute son énergie, toute son indignation pour dresser un tableau le plus précis possible de son époque, sans s’éparpiller dans les détails :

Nous subissons actuellement une « crise financière » comme ils disent, sociale, économique, qui a accéléré les choses, déjà pas brillantes, il faut le reconnaître. Je crois que c’était la seconde étape d’une mutation amorcée le mardi 11 Septembre 2001. Actuellement, je pense qu’aucun d’entre nous ne peux avoir le recul suffisant pour savoir de quoi demain sera fait. D’ailleurs, tu sembles être la preuve qu’il y aura un « demain ». C’est salutaire, à défaut d’être rassurant.

(à suivre)





Lire la suite ici.


in: The closer I get

3 commentaires:

Roy a dit…

‎..les mots prennent image, les images prennent mot dans ton écriture ♥ une ballade absolument étonnante autour des aventures de ce cyborg, Angelina ! (par contre, une explication s'impose : que donc vient faire la photos copyright Maria Klonaris/Katerina Thomadaki ?)

Angelina a dit…

C'est de l'illu... c'est pas bien ?

Roy a dit…

je n'ai pas dit ça. j'ai juste voulu comprendre le rapport :)