mercredi 5 janvier 2011

Autoroute from Christine


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« Merde, merde. » Les passagers arrière sont réveillés en sursaut. Marie-Rose a la main posée sur sa bouche et regarde le conducteur avec un effroi hitchcockien. La voiture va se ranger doucement sur le bas-côté. Un clignement d’yeux laborieux pour s’apercevoir que le soleil verse déjà sa lumière rose et sa tiédeur sur l’autoroute A4. « Qu’est-ce que je risque ? », demande Paul d’un air candide. « Tu risques un retrait de permis », promet la toujours pragmatique Marie-Rose. Qu’est-ce qu’il fout là à six heures et demi du matin celui-là ? Juste bien planqué derrière le péage. Ben quoi, on roulait doucement. Le gendarme a de l’allure, il s’approche prestement, et se penche à peine pour s’adresser à Paul. « Bonjour. Avez-vous bu de l’alcool, avant de prendre le volant, Monsieur ? » Marie-Rose tourne la tête de l’autre côté pour ne pas voir ça. La réponse met une peu de temps à sortir, mais le ton est direct et franc : « Euh... quelques verres. » Le gendarme a du mal à cacher sa jubilation. « On revient d’un mariage », lance Marie-Rose dans l’espoir d’arranger les choses. « Je vais vous demander de souffler, Monsieur. » Il aurait pu être pas mal s’il n’avait eu son képi enfoncé jusqu’aux sourcils, et son air faussement modeste de bon-fonctionnaire-qui-fait-son-travail. Il tend le ballon à Paul qui se met à souffler avec un bruit qui finit par ressembler à un couac. Cette fois, Marie-Rose regarde, tout, attentivement, elle s’allonge presque sur les genoux de Paul pour regarder le gendarme consulter le tube avec circonspection. C’est drôle, je croyais que ça changeait de couleur, et il ne se passe rien. Il ne se passe rien, mais Marie-Rose regarde quand même, même s’il n’y a rien à voir et le gendarme fronce quand même les sourcils, même s’il ne se passe rien. Après un temps infini : « Bon, vous allez venir avec moi. » « Oui, bien sûr. » Cette fois, Paul n’hésite plus du tout. Est-ce parce qu’il sait ce qui l’attend ? Ce don juan à la quarantaine sexuelle, assagi par une femme-enfant-mère de 24 ans habillée en zèbre, ne se laisse pas démonter devant l’adversité. Il sort, sûr de lui, enlève sa veste d’un air méchant. L’ombre d’un doute inquiet traverse le visage du gendarme. « Vous pouvez garder votre veste, Monsieur. » « Non, je ne préfère pas. » Il la jette négligemment sur le siège en fixant sa proie, et s’éloigne. « Au revoir, mon amour », crie Marie-Rose d’une voix mi-étranglée, mi-rieuse. Le gendarme le suit.

« Oh, merde. » La main est revenue su la bouche. « C’est cuit ! » Les quatre passagères inquiètes se lancent dans une surenchère de commentaires : des « c’est facile de se poster juste derrière le péage, au p’tit matin quand tout le monde revient de faire la fête », et des « de toute façon ça ne risque rien. Il n’y a personne à cette heure-là. Ils feraient mieux de se mettre sur le périph’, comme ça au moins ils serviraient à quelque chose ». On se voit déjà pieds nus sur le bitume, ses chaussures à talons à la main, à moitié à poil, à six heures du mat’, dans l’indifférence des voitures qui passent.

Paul revient tout sourire. Soupir de soulagement collectif. C’est reparti dans un éclat de rire général, vite et loin des ennuis. Il n’y avait sûrement rien dans le ballon. Il avait bu du café. Il remonte à quand son dernier café à Paul ? Qu’est-ce qu’ils lui ont fait ? On ne le saura pas, il n’en parle pas. La Renault prend de la vitesse, un petit bruit, puis un grand clac. Cette fois, c’est le morceau de plastique qui tenait lieu de vitre arrière gauche qui vient de s’envoler sous la pression de la vitesse. 



in: La part du fabulateur

1 commentaire:

Martial a dit…

Jack...Kerouack...au bout ...du Rouleau...d'asphalte ...