Le deuxième album de la Zone d'Expression Populaire (ZEP) est sorti ce lundi 28 mars. Alternatif et indépendant, Saïdou a choisi de zapper les "grands" médias. Rencontre.
Une rencontre avec Saïdou, l'autre voix du Ministère des Affaires Populaires, cela ne se refuse pas. Toujours sur le départ, encore là mais bientôt ailleurs, il m'attend Place de la Nation, sa petite valise à roulettes à la main. Il me voit et son grand sourire apparaît. Saïdou, c'est ce grand type à casquette qui jouait hier à Bobigny pour soutenir les militants de la campagne BDS (1) et avec qui je m'apprête à passer plus de deux heures à la terrasse d'un café. Simplicité, disponibilité, et générosité sont les moteurs de l'artiste, qui a su rester accessible et surtout très humain.
D'entrée je le questionne sur Nique la France et le souvenir que j'ai gardé du lancement de la tournée à la Belle Etoile l'année dernière. « Je vois bien que tu me cuisines, mais cela ne me dérange pas. Je vais te répondre. » Une discussion à bâtons rompus. Ce qui ne devait être qu'un verre amical et un "une autre fois" s'est transformé en un véritable entretien-fleuve. A moitié journaliste ce jour-là, je n'ai pas osé enclencher le magnétophone. Toutes les citations de Saïdou que tu liras ici, lecteur fan de ZEP, de MAP et de rap musette militant, sont de mémoire.
Un an après la sortie, en pleine identité nationale, de son livre-disque Nique la France, dans lequel il était au micro quand le sociologue Saïd Bouamama était au stylo, Saïdou repart donc en campagne, un nouvel opus sous le bras. Sa Zone d'Expression Populaire a subi quelques changements. « L’équipe a bougé. Alee, le troubadour, n’est plus là. Les musiciens ne sont pas des pros, mais c'est un parti pris. » Comme s'il voulait échapper au succès et à la professionnalisation, Saïdou est aujourd'hui un réfugié volontaire au sein de sa ZEP. « J'en ai un peu marre qu'on me tende toujours le micro pour me demander de m’exprimer sur tout. Je fais de la musique et ce que j'ai à dire, je le mets dans mes textes. » Très peu d'interviews donc l'année dernière après la sortie de Nique La France. Un skud et le silence. Puis une série de conférences avec Saïd Bouamama, l'auteur du livre. Aujourd’hui, c’est tout seul qu’il défend son dernier bébé, et dans un tout autre contexte puisque au moment de la rencontre, nous sommes entre le printemps arabe et une guerre en Lybie.
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Le bébé promet. J’adore cette écriture nerveuse, qui débite comme s’il allait manquer d’air, qui martèle parce que les mots font mal, bien sentis, bien ajustés. D’un bout à l’autre de ses deux albums, le rappeur s’adresse à un alter potentiel qu’il tutoie, qu’il apostrophe, toi l’auditeur, toi le public, toi le témoin. Il fait péter les rimes, claquer les mots. Ils s’entrechoquent, ricochent, se dédoublent et réfléchissent, se reflètent, se répondent et interpellent. Parfois ils sondent et ils déminent. « Je suis un terroriste », me dit-il.
Une semaine que l’album tourne dans ma tête. En tête, un Bezzef phare qui devrait faire bouger les foules. Fédérateur juste pile où on a envie de dire merde à Guéant et à sa clique. Aujourd'hui, point de livre. Ni de titre d'album provocateur. Quoique ! "Bezzef" ça veut dire stop, ça suffit, acabo ! Vindicatif et prémonitoire, il relève les compteurs. « (...) quand la masse est en marche silencieuse, quand elle hurle en cachette, moribonde et pleurnicheuse, quand elle chuchote la colère comme un tabou, comme un secret, quand elle abdique, cadavérique, quand la révolte est prohibée. Autocensure, alien, comme la pire des prisons, les murs invisibles sont plus solides que le béton. Ils enchaînent, ils enferment dans le silence. Ils emprisonnent, et graves sont les conséquences. Les prols se lepénisent, les forces se divisent. »
Comme pour lui donner raison, le résultat des élections cantonales confirme la montée d'un Front National qui ne fait même plus honte. En plus de dénoncer un pouvoir qui se fascise, Saïdou pointe un racisme latent sous couvert de la bonne conscience. Il fustige un état d’esprit général imprégné par un colonialisme auquel la France n’a pas su renoncer. Même durant les plus glorieuses heures de la lutte antiraciste, les Français n’ont jamais réussi, selon lui, à s’affranchir d’un comportement paternaliste, caractéristique des rapports entre côlon et colonisé. « Il ne suffit pas de dire qu'on n’est pas raciste, il faudrait que les "blancs" reconnaissent qu'ils se réservent un statut de privilégiés. » Impressionnant, l'homme a la dialectique affûtée, il joue de son charisme, il tétanise avec les mots, prêt à parer toutes les contradictions, à contredire les argumentations qui mettent en doute. Je questionne le terme "blanc", que je trouve réducteur et dans lequel je ne me reconnais pas. Lui me parle de mon petit égo blessé et considère, au contraire, que c'est une réalité qu'on n'a pas le droit de dénigrer. « Mes grands-parents ne savent ni lire ni parler français et pourtant ils ont une véritable conscience de classe. J'ai une grande admiration pour eux. Ma grand-mère, un jour, m’a dit "Je suis noire". Elle a tout compris de ce qui se passe autour d'elle. » S'il adhère au discours des Indigènes de la République, il ne s'en réclame pas ouvertement. « Ce sont mes frères et soeurs, et je les soutiens. »
Nique La France, le livre, participait déjà de ce refus d'un "néocolonialisme" banalisé. Aujourd’hui, un débat sur l'identité nationale et une loi contre les burqas plus tard, sans compter le Burger King hallal, l'apéro saucisson et pinard et les prières de rues (pour tout éclaircissement sur ces références, merci de m'envoyer une demande par mail), Saïdou croit encore moins en la politique pour réduire les inégalités et lutter contre la xénophobie. Ecoeuré devant une droite qui drague le facho et par une gauche qui se tait, il préfère se retrancher sur les valeurs auxquelles il croit, et ne plus rien attendre des institutions. Anar, mais sans drapeau noir. Son pavé dans la mare ce sont des brûlots, des diatribes, des textes persifleurs censés remettre les pendules à l'heure.
Retour aux racines
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Le regard résolument tourné vers le sud, ZEP envoie une belle baffe dans la gueule d'une France un peu trop satisfaite d'elle-même, volontairement sourde et aveugle. « Cette France, je ne l’aime pas. Je ne la reconnais pas comme mon pays, parce qu’elle ne me reconnaît pas. Mais c’est ici que je vis. Je ne crois pas au pseudo-pouvoir des urnes, au droit de vote. Voter, ça ne prend qu'une demi-seconde et, chaque fois, on en prend pour cinq ans. » Comme l’expliquait Said Bouamama, « la solution n’est pas de changer les mentalités pour changer la société, mais bien de changer la société pour changer les mentalités. » « On ne fait pas partie du problème mais de la solution » pourrait même se payer le luxe de rajouter l'un de mes lecteurs.
"Contre une réalité impitoyable qui bousille rêves et utopies, contre l’urgence arbitraire et insatiable qui sabote idéaux et projets de vie", ZEP administre des cataplasmes bouillants, cautérise la douleur par la catharsis, égrène des chapelets de soupirs, plus doux que l'ire, et disperse des semences de nostalgie. Tout comme Zaf-Zafi qui est l'adaptation d’une chanson algérienne des années 30 sur l’immigration, Ya Baba pourrait être la lettre d'un Sans-Papier à son père. « Me suis retrouvé à Paris, dix mètres sous terre, Ya Baba, comme les souris. Pas de lumière, pas de soleil, pas d’été. Ni bonjour, ni bonsoir, ni mots gentils. » Ce morceau est un magnifique petit bijou. L’écriture est fine et précise, travaillée par un orfèvre. Les détails disent tout. La musique est plus que belle.
Après Nique la France, titre spontané, vengeur et ravageur, Saïdou a de nouveau ressenti le besoin de tremper sa jolie plume dans l’acide, l'humour et l'amertume. Au final, l’album est-il celui d'une colère noire, brandie comme une oriflamme ? « Je ne suis pas en colère », me susurre-t-il, un doux sourire un brin moqueur collé sur les lèvres. « Le matin, je me lève pessimiste et je me couche optimiste. » Angela Davis, Aimé Césaire, Mahmoud Darwich et Frantz Fanon. Ses références dessinent la pierre d'angle d'un véritable programme politique fait de revendication, de vigilance et d'indignation. Mais surtout,« toujours debout ». Pas de colère, mais de la dignité.
Je gère, dernière chanson de l'album, n’oublie pas d’égratigner un système qui fait si mal à la culture populaire, qui méprise les arts urbains, relégués au rang de folklore, qui adule le politiquement correct, médiateur de la pensée et de la parole uniques. Avec virulence : « Transgresser leurs règles parce qu’elles sont pas les nôtres, parce qu’elles nous excluent, nous bâillonnent et nous ligotent, parce qu’elles nous assignent et nous imposent le silence, la discrétion, la politesse et la patience. » Avec autodérision : « J’ai pas le talent pour faire danser dans les campings, pas très doué en com’ et marketing. Antisioniste, je crois que c’est pas très vendeur, pas très sexy pour faire carrière chez les crooners. (...) ça risque d’être compliqué pour choper le disque d’or. Ҫa y est je crois que c’est foutu pour signer dans la major, pour côtoyer le gratin, pour tutoyer la pègre, Bolloré, Bouygues et le chéquier de Pascal Nègre (...) » Ce "système" qui ne vend plus mais donne du prêt à penser que l'on ramasse et que l'on abandonne sur les banquettes du métro, qui conditionne. « Je crois aux réseaux alternatifs » explique Saïdou. « J’ai délibérément choisi d’éviter les grands médias. » Parce que les grands médias, c’est déjà la compromission avec le système qu’il dénonce. Comme il le chante encore : « Pour faire trembler l’institution, j’ai choisi l’alternative, les réseaux indépendants, les canaux populaires occupés par les vrais gens. Autonome, solidaire et militant, subversif, impertinent et dissident. Les tubes et les singles, moi je sais pas faire. J’ai pas la côte sur Skyrock et France-Inter. »
Palestine, ma direction
Palestine, « mon sens, ma boussole, ma devise, mon exemple, mon symbole, ma direction, ma route, mon emblème, ma logique, ma référence, mon modèle, là où je puise toute mon inspiration (...) » L’une des chansons phares des concerts de ZEP. Immuable depuis le premier album, elle figure également sur celui-là, toujours précédée par le poème de Mahmoud Darwich, Inscris ! Je suis Arabe. Cette fois, il est récité par les Palestiniens du groupe Gaza Team. Un poème puissant dans lequel le poète s'adresse directement au colonisateur. Palestine encore, dans la chanson Tu dois partir, où il est question d'une sauterelle, habile métaphore sur les colonisations. Celles d’hier et d’aujourd’hui. Le regard panote de l’Algérie aux territoires occupés.
Poésie, grincement de dents, raillerie et autodérision pointent sous les saillies. L'album aurait pu être lourd, brosser un tableau noir, déprimant s'il avait été exempt d’humour. Aïe aïe,aïe, les pièces inénarrables, diablement rythmées et hilarantes : la part du fromage, la famille ou même le très controversable Je me soigne. Un portrait lapidaire de l’Hexagone : « Encore pire que la gale, j’ai le virus hexagonal, de la fièvre coloniale, sexiste et libérale, allergique aux Musulmanes, aux SDF et aux Tsiganes. Hé ouais, camarade, je suis Français mais je me soigne. » Effectivement, tout le monde devrait se soigner de cette France-là. Après on pourra toujours objecter, et j'objecte encore, qu'amalgamer cette partie de la France avec l'ensemble de la société peut s'avérer réducteur, voire contre-productif. Cela met en opposition certaines catégories de la population, là ou il faudrait plutôt les faire converger, et surtout cela arrange bien les affaires des véritables racistes. Dénigrer en bloc une société parce qu'elle est imparfaite, inaboutie, menteuse, trompeuse et souvent mal-intentionnée ne peut servir, à mon sens, qu'à entretenir le clivage et continuer à faire grimper un FN, une UMP qui depuis des mois stigmatise les Français d’origine arabe. « Le problème », me répond Saïdou, « c'est que même au sein de la convergence, il y a cette discrimination qui fera que je serai toujours derrière les autres. Ceux qui veulent que je brandisse un drapeau rouge ne me mettront jamais en avant. » Indéniablement, notre société a besoin de se faire décoloniser de l'esprit, de ne plus penser une grande partie de sa population comme des minorités qu'il faut gérer, mais d'abord et uniquement comme des citoyens. Il y a beaucoup de choses qui font profondément du bien dans le discours de ZEP. D'autres qui me laissent plus dubitative. C'est pourquoi, je le redis, je prends le meilleur et je laisse le reste. Lorsque je suggère à Saïdou que le public qui danse en concert n’écoute ou ne comprend peut-être pas toute la portée des paroles, la question le blesse, et la réponse est cinglante : « Tu fais preuve de condescendance en pensant que tu comprends des choses que les autres n'entendent même pas. Je peux t'assurer que le public entend les paroles. Je le sais parce que je le vois quand je suis sur scène. Je vois les gens réagir. » D'ailleurs, « je ne suis pas là pour faire danser les bobos », m'avait-il lâché un peu avant.
Ah oui mais, faudra faire avec alors. Parce que cette musique s’attrape comme une fièvre et se danse à l’insu de son plein gré. Saïdou est parfaitement conscient qu'il touche surtout, pour le moment, des trentenaires plutôt politisés voire militants, et pas encore les jeunes des quartiers qui, pour le moment, s'abreuvent de Skyrock et s'enfilent la totalité du catalogue Universal. Mais, pour le moment, il peut assurément compter sur le soutien d'un noyau dur de fans, qui va en s'agrandissant au fil des concerts.
Passions
Si aujourd’hui la musique reste l’essentielle de ses passions, le leader de ZEP se voit comme un éternel passeur. Il veut témoigner, transmettre, n'être plus qu'un médiateur. « Je me verrais bien faire du documentaire. Parce que je commence à avoir un peu de légitimité sur le terrain, parce que je pense que j’inspire confiance. » Fort de son expérience en Palestine où il a été en contact avec la population de Cisjordanie, il a déjà jeté les bases de ses nouveaux projets. Au gré des ateliers d’écriture qu’il pratique avec des collégiens en ZUS (zones urbaines sensibles) ou dans les prisons, il recueille des paroles qui l’enthousiasment. « J’ai fait un atelier à Bordeaux avec des collégiens. J’ai rencontré un gamin de 12 ans d'origine comorienne qui était quasiment considéré comme irrécupérable. A la question « Quel serait le monde idéal pour toi ? », il a répondu : « Un monde où les blancs seraient gentils. » Une jeune fille de 15 ans m’a dit « Le racisme pousse les gens à se refermer sur eux-mêmes et leur fait perdre leur confiance en eux. » Ces jeunes comprennent le monde dans lequel ils évoluent. Ils sont capables de synthétiser en quelques mots ce que des chercheurs mettent des années à retranscrire. »
En attendant, reprendre la vie commune avec MAP n'est pas exclu. « HK, c’est la famille. Il se pourrait bien qu'on refasse quelque chose ensemble très vite. » Demain, MAP ? Aujourd'hui, la route avec ZEP qui était à Bobigny mercredi dernier pour protester contre les conditions d'accueil et le traitement des dossiers des étrangers à la Préfecture de Seine-Saint-Denis. Aujourd'hui, c'est Bezzef, et de la musique pour réfléchir. Efficace.
PS : Après notre rencontre, j'ai reçu un message de Saïdou : « Petit contrôle d'identité à la sortie de la gare ! :( "Vous avez de la drogue, une arme, vous êtes connu de nos service ?" No comment... »
(1) Boycott Désinvestissement Sanction milite pour le boycott des produits en provenance des territoires occupés.
in: Qui êtes-vous ?
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5 commentaires:
il a de la chance saidou il sait la tete que tu as en vrai. Mais bien ton article sur ton blog, je fais tourner
Je ne sais pas s'il a de la chance. Mais merci :)
Ben moi j'ai la chance de la connaitre la tête d'Angelina.
Et franchement, on est pas déçu
Très chouette cet article.
J'ai déjà entendu parler de ZEP. Je connais peu, mais cette lecture donne très envie de mieux entendre sa musique et ses textes.
Bravo pour cet article.
Je connais et suis ZEP et Saïdou depuis son premier album. Sans parler du MAP avant.
Ce garçon mérite vraiment d'être connu. Il a vraiment du talent
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