mercredi 25 mai 2011

La Compagnie Jolie Môme par elle-même


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Des trublions qui braillent, qui sautent, qui chantent, qui font exploser les rimes et la parole. A force de gestes démesurés, à force de vous interpeler, ils réussissent à vous prendre par la main et à vous emmener en 1917 ou sur les barricades. Enfants des planches, ils se font Gavroches pour nous raconter notre histoire. Ce sont les enfants que nous aurions aimé être, ils jouent à refaire le monde, comme si le capital n’avait pas gagné et que tout restait à faire. C’est la Jolie Môme qui roule des hanches en balançant ses chansons qui font le trottoir, c’est la Compagnie qui prend la rue et fait descendre le théâtre de la scène.

Car la Compagnie Jolie Môme vous regarde dans les yeux, quand elle joue c’est à vous qu’elle parle. Ici, pas de quatrième mur, ce point imaginaire que les acteurs fixent pour ne pas regarder le public. Et chez ces gens-là, Monsieur, on ne s’ennuie pas. Chez ces gens-là, Madame, on a le Brecht riant.

« Chacun parle d'où il est. Une troupe bourgeoise fera du Brecht bourgeois. Nous, on a intégré que les gens ne viennent pas pour s'emmerder. Ça passe par la mise en scène, l'envie d'emmener le public avec nous, de leur dire « Regardez comment ça nous parle à nous, à vous. Brecht c'est nous. » Lorsqu'on a joué La Mère, 200 ouvriers de chez Renault sont venus. La Mère, c'est 1917, la révolution. Ҫa leur parle. Dans le théâtre en général, il y a quand même très peu d'ouvriers. Une stagiaire de la compagnie avait adressé un questionnaire au public sur trois spectacles et il en ressortait que 30 % de notre public est d'origine ouvrière. Nous avons été surpris et fiers. Peu de théâtres peuvent faire ça. A cause d'un tarif dissuasif, des propositions qui sont faites. »

Fondée par Michel Roger, un ancien de l’Epée de Bois, théâtre de La Cartoucherie, la Compagnie Jolie Môme a pris son envol dans les années 80.

« Au début, on a été domicilié dans plusieurs CHRS Emmaüs. On y trouvait un lieu de répétition et en échange on faisait un atelier de théâtre avec les hébergés. Plus tard, nous avons été à Gennevilliers dans ce qui s'appelle aujourd'hui la maison de la culture. Au début, ça nous permettait de répéter et de bosser. On nous refilait des gens en se disant « Tiens, ça va les occuper. » On s'est rendu compte qu'on servait beaucoup de roue de secours. Ça a cheminé dans le fonctionnement et l'esprit de la troupe. Nous avons faite nôtre la phrase de Victor Hugo : « Vous voulez les miséreux secourus, [nous, nous voulons] la misère supprimée. » D'une démarche "humanitaire", nous sommes passés à une démarche plus politique, révolutionnaire au gré des rencontres et des spectacles. Aujourd'hui notre activité politique ne passe pas par le spectacle politique. Elle reflète ce qu'on a envie de dire, ce qui sera intéressant. On ne veut pas donner une leçon de politique aux gens. Car le théâtre n'est pas politique dans le sens où le spectacle est un acte politique ou révolutionnaire. Par contre, nous sommes capables de faire des choses dont nous sommes fiers, qui remontent le moral au public, en donnant la parole à un collectif de sans papiers, en étant présent sur un piquet de grève, en allant chanter pour les Conti, ça c'est un acte politique. »

Après Emmaüs et Gennevilliers, la Compagnie Jolie Môme a trouvé son "port d'attache" à La Belle Etoile à Saint-Denis, terme inventé par la municipalité pour accueillir cette troupe hors norme.

« Nous nous sommes installés pour faire vivre le lieu, faire en sorte que ce soit un lieu de théâtre populaire, ouvert sur le quartier. Quand tu es accueilli à l'entrée par un comédien ou le directeur du théâtre, ça a une autre gueule que quand c'est une hôtesse qui te demande ton ticket et te demande de trouver ta place. C'est tout un ensemble de choses qui participent à cette ambiance. Quand tu viens manger ici, tu es servi soit par des comédiens soit par des stagiaires des ateliers.

« En ce qui concerne les spectacles, nous avons une liberté de choix. Jusqu’ici, nous n’avons refusé que trois propositions de la mairie dont un promoteur immobilier qui voulait faire la fête parce qu'il se faisait de plus en plus de fric. Les rapports avec la ville sont très chouettes. Nous avons une indépendance énorme. Ils nous connaissent suffisamment bien pour ne pas nous proposer n'importe quoi. Au départ, on était un peu inquiet et nous avons été très heureusement surpris. Militants et ouvriers amènent leurs copains d'usine, leurs voisins, leur comité de quartier, leur association de locataires pour partager une culture qui leur parle et leur plaît. De toute façon, les militants politiques sont aussi des militants culturels. »

Port d’attache, la ville de Saint-Denis est également un havre de liberté. Solidement implantée, plébiscitée, désirée, la Compagnie Jolie Môme ne ménage pas ses forces pour faire entendre sa voix et apporter son soutien aux causes qu’elle défend également dans ses spectacles. Je vous en parlais .

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« On sait que pendant les manifs, les gens aiment retrouver notre cortège car on y met de la combativité et de la bonne humeur. Nous faisons ce qu'il nous semble nécessaire de faire, nous encourageons les gens à se syndiquer, à militer. Aujourd'hui, il faut croire qu'on continue de déranger. A Aurillac une fois, au festival du théâtre de rue rebelle, nous avons contacté quelques théâtres pour qu’ils nous aident à soutenir les faucheurs d'OGM qui passaient en procès. On a demandé à la troupe rebelle d'à côté s'ils pouvaient leur laisser la parole. Tout ce qu'ils ont timidement consenti à les laisser faire, c'est une distribution de tracts à l'entrée. C'est le problème quand on est dépendant des subventions. Une autre fois, dans une municipalité communiste où nous devions jouer, la ville a démonté notre spectacle parce que nous nous étions joints à une manif pour le droit au logement. De même que nous avions prévenu Patrick Braouzec, du temps où il était maire, lorsque nous sommes arrivés à Saint-Denis, que nous serions assez vigilants sur les sans-papiers sinon on ouvrirait notre gueule. Il nous a répondu qu'il le savait et qu'il n'était pas inquiet. Il a toujours été très correct sur les questions de sans-papiers, et ce sans attendre qu'on le secoue. »

Militante et passionnée, la Compagnie Jolie Môme a également trouvé le moyen de contourner le système en ne diffusant ses disques que par la vente directe.

« Le choix de la vente directe n’était pas un refus du système commercial. Au départ, les CD ont été faits pour les spectateurs qui voulaient garder un souvenir du spectacle. Ça s'est étendu. Des distributeurs sont venus nous proposer de les mettre en vente dans les grandes enseignes. On s'est aperçu que sur 15 €, 2 € nous revenaient, le reste était reversé au distributeur, à la grande enseigne. A quoi ça sert ? On ne va pas en vendre plus pour autant. Avec la vente directe, sur 17 €, une fois les droits d'auteur décomptés etc, ce sont 13 ou 14 € qui nous reviennent. C'est un écart plus intéressant. Nous les vendons également dans quelques librairies militantes que l'on a choisies avec une remise qui contribue à la vie de la structure. Mais ce n'est pas un choix délibéré, ce sont plutôt les circonstances qui nous ont fait opter pour ce choix. On aurait pu se rapprocher de coopératives de diffusion culturelle mais on n'a pas eu le temps à ce moment-là. On reçoit des propositions de diffusion alternatives, des AMAP de la culture. Certains d’entre nous pensent qu’on ne peut créer un système parallèle avec la force du système actuel. Il faut mettre à bat le système avant de repenser les choses. Pour le moment, ce n'est pas notre cheval de bataille. Nous mettons toute notre énergie dans nos spectacles, pour faire vivre la compagnie. L'éducation populaire fait partie de nos envies. »



* Merci à Loïc 


En savoir plus sur la Compagnie Jolie Môme cet été.




in: In the mood for anger

1 commentaire:

Jean-Marc a dit…

Géniaux...