mercredi 2 février 2011

IL N'Y A PAS DE RÊVE QUI NE MARCHE PAS from dolpi

Journaliste, documentariste, penseur intensif, trouveur de bons mots et poète, dolpi a accepté d'entrer dans mon harem de fabulateurs.



Le 28 août 1963, Martin Luther King prononce le discours le plus connu du XXème siècle. I Have a Dream ! devient le symbole du Mouvement des Droits Civiques, scandé à l'issue d'une Marche pacifiste qui est l'aboutissement d'un combat réalisé pas à pas.



Depuis petit je sais : l'humanité est encore à quatre pattes. Gesticulant comme un bébé, se tenant à peine debout, retombant sur son derrière de temps en temps, voire très souvent. Mais un jour, car il y a des jours comme ça, je l'ai vue un instant se tenir debout, et faire quelques petits pas...

28 août 1963. La Marche vers Washington pour le travail et la Liberté. Je m'en souviens comme si je l'avais vécue. Ce jour là de fin d'été, dans la capitale fédérale des Etats-Unis, on a marché du Washington Monument au Lincoln Memorial, de la ségrégation raciale jusqu'au vote des Droits Civiques. Grâce à cette marche qui fut le point culminant du Mouvement des droits Civiques, l'année d'après, a été rendue illégale toute forme de discrimination : la ségrégation raciale dans les écoles publiques, dans le monde du travail, et un salaire minimum pour les travailleurs a été assuré ainsi qu'une protection des activistes des droits civiques, entre autres. Le rêve d'égalité, qui s'était levé depuis plusieurs décennies, a marché jusqu'à devenir réalité. Mais, dans chacun de nos pas, ce jour-là, comment oublier les étapes franchies dans la douleur, un pas après l'autre ?


D'abord, dis-toi que c'était à peine croyable. Il y a encore dix ans, qui pouvait concevoir même l'idée d'être aussi nombreux ici ? Aussi nombreux à déambuler côte à côte, brandissant nos slogans, nos revendications égalitaires, t'en rends-tu compte : cette marche, on le savait déjà, devenait le plus grand rassemblement à Washington jusque lors ! Combien de fois on avait entendu les bons pensants nous rabacher "c'est pas possible, vous rêvez..."? Aujourd'hui, nous étions presque 300 000 individus ! Et dans cette foule, peut-être seulement Asa Philip Randolph pouvait l'avoir prédit. C'est lui qui a organisé la Marche.

Dans les années 30, ce militant avait fondé le premier syndicat Noir des Etats-Unis. La Brotherhood of Sleeping Car Potters avait même, après deux ans de lutte, obtenu de la compagnie Pullman --- fabricant de locomotives, des accords en faveur de ses collègues afro-américains. On était en 1935. Mais l'idée de "marcher sur Washington", il en avait déjà fait la menace en 1941. Le président du New Deal avait dû cédé : Roosevelt signa le décret Fair Employement Act qui mettait fin à la discrimination dont les Noirs étaient victimes dans les usines d'armement. Mais pour le syndicaliste, ce n'était pas suffisant. Alors, contre les lois d'apartheid Jim Crow, en vigueur dans le sud des Etats-Unis, il forma un comité : la League for Non-Violent Civil Disobedience. En 1948, ce fut au tour du président Truman de céder. Celui-là même qui avait atomisé Hiroshima et Nagasaki, dû décréter la fin de la ségrégation raciale dans l'ensemble des forces armées américaines. C'était un premier pas.


CE N’EST PAS LA DESTINATION LE PLUS IMPORTANT


Dans cette longue Marche, nul ne pouvait l'oublier : au début d'une lutte, on a tendance à rassurer les compagnons en leur disant : "ce n'est pas la destination le plus important, mais bien le voyage". Puis, étape après étape, il nous faut comprendre que les seules choses irréalistes --- sont seulement celles qu'on ne tente pas de réaliser juqu'au bout. Alors y croire, comprendre, se lever. Mais ne pas en rester là. Se relever. Avancer. Cheminer vers l'espoir. En gardant sa dignité.

Cette victoire d'Asa Philip Randolph obtenue dans la non-violence aurait plu aux penseurs Richard Gregg* et Henry David Thoreau** dont s'inspirent les leadeurs de la Marche. Les Big Six, comme on les appelle, mènent notre manifestation pacifiste. Aux côtés du syndicaliste, il y a Roy Wilkins de la NAACP, Witney Young de la National Urban League, John Lewis, président de la Student Nonviolent Coordinating Committee, en gros : les leaders des principales organisations civiles du Mouvement des Droits Civiques dans le sillage de la pensée non-violente, comme l'est Bayard Rustin, le principal organisateur de la Marche. Rustin est également le conseiller sur la stratégie de lutte non-violente, auprès de Martin Luther King.

Ce jour-là, parmi ceux qui étaient présents, beaucoup avaient fait auparavant l'expérience de la désobéissance civile, de la résistance non-violente, et du boycott. En 1955, à Montgomery dans l'Alabama, Rosa Parks, une femme Noire, refuse de céder sa place de bus à un passager Blanc, comme l'exige la loi dans cet état du sud. Elle est arrêtée, inculpée de désordre public. En réponse, pendant plus de 380 jours, la communauté noire proteste par un boycott des transports en commun. En novembre 1956, la Cour Suprême des Etats-Unis se réveille et décide d'abolir les lois ségrégationistes --- dans les bus. C'est un autre pas.

Ayant activement soutenu le boycott, en dirigeant la Montgomery Improvement Association, le pasteur Martin Luther King racontera dans le livre The Montgomery Story l'histoire de ce combat. Lors d'une dédicace, il se fait poignarder par une femme Noire. Il s'en sort miraculeusement. Il lui pardonnera. Mais pour le pasteur, le pardon ne suffit pas. Il lui faut désormais une méthodologie pour gagner durablement. En 1959, il s'envolle pour l'Inde, pour comprendre la "persuasion pacifique" pratiquée par Ghandi (mort assassiné en 48).


L’ENSEMBLE DE L’HUMANITÉ


Aujourd'hui, en marchant pacifiquement sur Washington, nous sommes au zénith de la pratique du satyagraha, de la lutte non-violente aux Etats-Unis. Ce 28 août 1963, nous sommes tous militants, combatifs, et surtout pacifistes. L'esprit du discours de Martin Luther King, avant l'heure, plane déjà sur nous. La violence faite à une partie de l'humanité, est une violence faite à l'ensemble de l'humanité. Il ne s'agit pas plus de sauver les victimes de leurs bourreaux que de sauver les coupables de leur culpabilité. Nous marchions déjà vers l'idée de réconciliation. Pas seulement pour que la justice soit rétablie, mais aussi pour que les mots "égalité et "fraternité" aient de nouveau un sens, un sens commun à tous. C'est en ça que Martin Luther King est aussi un disciple de Gandhi, et un parent de Mandela. L'idée d'une humanité "une" à travers sa diversité, une et égalitaire, est plus importante que toute autre idée de "vengeance morale". Ici, il n'y avait pas de place pour la rancune. Même si certains d'entre nous, avaient été rabaissés, la véritable victoire était la dignité retrouvée, la dignité de se tenir droit, debout, mais de ne pas rabaisser quiconque à notre tour.

Arrivés au Lincoln Memorial, nous nous tenions tous debout quand le pasteur gravit les marches afin d'atteindre la tribune et s'adresser à nous. Je me souviens, comme si je l'avais vécu, comment notre manifestation avait été couverte : il y avait des caméras partout. C'était impressionnant. L'événement était historique. Bob Dylan avait été rejoint par Joan Baez. D'autres musiciens étaient là, et d'autres célébrités aussi. La Résistante de la France Libre et fameuse danseuse Joséphine Baker est là. Tout à l'heure, elle montera elle aussi à la tribune pour un discours en l'honneur des Negro Woman Fighters for Freedom, telle que Rosa Parks.

Et, ça y est : il se tint devant la foule. Dans 5 ans, il mourrait assassiné. Juste avant, il lancerait la "seconde phase dans le Mouvement des Droits civiques", une phase sociale élargie à tous les pauvres (Mexicains, Amérindiens, Blancs, Noirs...) et à toute la société, contre le militarisme et le matérialisme entre autres, avec l'idée de constituer une nouvelle marche, mais cette fois-ci jusqu'au capitole, afin de changer la société. Encore plus.

Aujourd'hui, en direct, le futur Prix Nobel de la Paix se tient devant nous. "Immobile", pour la première fois. Devant presque 300 000 marcheurs, Martin Luther King va prononcer son discours le plus célèbre. Et ça va marcher. Car il n'y a pas de rêve qui ne marche pas. L'immobilisme, ne rien faire, ou faire semblant de faire, c'est pour ceux qui se font des illusions, et pour tous ces défaitistes. Tous ceux qui se prétendent réalistes. Les autres, les Martin Luther King, les Gandhi, ou les Mandela, ceux qui bougent --- pour du vrai --- ceux qui y croient malgré les prétentieux intellectuels trop fainéants pour voir la réalité telle qu'elle est, les autres, ceux qui se mettent debout, ceux-là n'ont pas choisi l'immobilisme. Ceux-là ont choisi de rêver. Car ceux-là, afin que l'humanité grandisse encore, et se mette debout, ont fait le pari improbable que leur rêve puisse... marcher.


dolpi
02/02/2011


* Richard Gregg (1885-1974) est un philosophe américain reconnu comme le premier philosophe social à avoir développé une théorie substantielle sur la résistance par la non-violence auXXème siècle. (Wikipedia)

** Henry David Thoreau, (1817-1862), est un essayiste, enseignant, philosophe, naturaliste amateur et poète américain. Son œuvre majeure, Walden ou la vie dans les bois (1854) délivre ses réflexions sur une vie simple menée loin de la société, dans les bois et suite à sa « révolte solitaire ». Le livre La Désobéissance civile (1849), dans lequel il avance l'idée d'une résistance individuelle à un gouvernement jugé injuste, est considéré comme à l'origine du concept contemporain de « non-violence ». (Wikipedia)



in: La part du fabulateur

3 commentaires:

Anonyme a dit…

I seldom leave comments on blog, but I have been to this post which was recommend by my friend, lots of valuable details, thanks again.

Angelina a dit…

"Alors y croire, comprendre, se lever. Mais ne pas en rester là. Se relever. Avancer. Cheminer vers l'espoir. En gardant sa dignité."

Pierre a dit…

Et encore, la dignité, bon…