Plus qu'un Gloomy Monday, c'est plutôt un Soft Monday que je vous propose aujourd'hui.
Le myspace de Lokua Kanza.
in : Gloomy monday
[mode fiction on]
Rapport de la mémoire du prisonnier 241611
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"Je suis innocent", je le crie depuis des heures, depuis que je me suis réveillé sous cette cagoule. Lorsqu'on me l'a retirée, le monde n'en a pas été moins noir. La différence ? C'est que maintenant je vois mes tortionnaires.
Ils veulent que je parle, mais je ne vois absolument pas de quoi. J'ai supplié de me dire de quoi j'étais accusé. Ils vont utiliser les chocs électriques et j'ai peur. J'ai peur car j'ignore ce qu'ils veulent. Toutes les questions tournent autour de la nuit du 5 novembre. Mais j'ignore même quel jour on est ! C'est à peine si je me souviens de mon nom. Depuis que je suis arrivé, lors des seuls moments où je peux m'exprimer, ils m'appellent Ibrahim, ou un nom en arabe, dont la traduction serait 'Le Juste'. Mais je ne parle même pas Arabe !
Dans la chambre d'interrogatoire, j'ai fermé les yeux. La lumière aveuglante me brûle à travers mes paupières. Mes vêtements me collent à la peau, ils sont trempés. Ça doit bien faire des heures que je suis attaché sur ma chaise sans pouvoir bouger.
Je sens à un moment que l'on se rapproche de ma droite. Un hurlement me tétanise : "TON NOM !" Ma tête se plie de douleur du côté opposé, je manque de me froisser les cervicales dans un geste de réflexe défensif. Mes tympans sifflent. Les larmes me montent au visage. Je leur répète qu'ils me l'ont déjà demandé, je leur dis à nouveau que je m'appelle Gerald, Matthew Gerald. Ils rétorquent que ce petit jeu commence à les fatiguer. Je sens alors des mains qui m'agrippent aux épaules. On me traîne de force, ils vont le faire ! Je me débat mais je suis bloqué, je hurle avant de me noyer la tête dans l'eau. Je sens l'eau qui tente de s'infiltrer dans mes poumons et ces derniers qui tentent de respirer de l'eau. Quand enfin on me relève, j'aspire l'air à plein poumons. Mais ils me replongent directement dans l'eau. Mon corps se débat. Le manque d'air devient douleur. Cette douleur devient insupportable à mesure que la panique s'empare de mon esprit...
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Rapport du lieutenant Kenny Rogers des Informations Spéciales.
La thérapie fonctionne à merveille. Notre patient montre désormais une peur panique à l'approche d'étendues d'eau. Le conditionnement est efficace. Sa nouvelle phobie sera adéquate pour son prochain interrogatoire.
Le conditionnement permet le contrôle de la peur chez le patient. Le contournement des lois concernant les Droits de l'Homme et les Conventions de Genève ne sont qu'une formalité juridique. Il est tellement facile de convaincre des paranoïaques du bien-fondé d'une loi autorisant ce qu'on appelle joliment les méthodes d'interrogatoire coercitives. Il est vrai qu'il s'agit là des techniques non-physiques. Une idée reçue qui fait son chemin dans le public, indique que l'opinion publique approuve les techniques qui ne touche pas physiquement le prisonnier mais ils ignorent que rarement, on se remet des tortures psychologiques.
Pour faire voter ces lois, il est nécessaire de "préparer" la population. Les médias de masses sont une bénédiction. Le racisme organisé stigmatise et cible les parties visées de la population. Cristallisant la peur, leurs proximités augmentent la paranoïa dans la classe moyenne. Le besoin de sécurité entraîne une politique qui débouchera sur des lois sécuritaires et/ou totalitaires pour protéger le pays. Tout cela démocratiquement, Vive la Démocratie !
Les médias sont un réservoir de terreur inépuisable. L'homme a peur de tout et de rien. Grâce aux fictions, et à l'imagination (ou manque d'imagination) des scénaristes, on a par exemple réussi à faire croire à l'ensemble de l'audience, que des personnes ayant un degré de culture extrêmement poussé, ayant fait des études, ayant voyagé sont capables de se transformer en terroristes suicidaires au nom d'Allah et contre la promesse de 72 vierges au paradis. Et c'est nos téléspectateurs qui prétendent qu'ils sont superstitieux et que leur religion est arriérée. Nous n'avons pas fait mieux depuis Himmler.
Sur un coin de la table du lieutenant, une brochure :
Votre réalité est notre réalité :
Xavier Dumont vous présente l'agence Dreamfactory,
Au début, cette technologie avait été développée pour soigner de riches dépressifs et névrosés. Les traitements ont évolué hors de la sphère médicale pour devenir plus accessibles à un public de plus en plus demandeur.
Notre but ? Faire "vivre" votre rêve. Après une analyse complète de vos désirs, ils implémentent des souvenirs dans votre esprit et travaille lors de votre amnésie partielle à compléter votre environnement des détails, des réflexes, et des documents pour "réaliser" votre rêve.
Nos tarifs sont à l'image de la qualité de notre prestation. Notre éventail de choix est très varié :
Les époux qui veulent redonner un second souffle à leur mariage. Nous organisons des rencontres fortuites où ils se rencontreraient plus souvent. Ils construisent une vie de couple qu'ils n'ont pas réussi à vivre (souvent par manque de temps). Généralement offert par les enfants qui offrent ce cadeau pour réconcilier leurs parents, le prix bien que plus cher qu'une thérapie de couple ou un conseiller matrimonial offre un résultat largement plus satisfaisant et plus rapide.
Certains hauts cadres demandaient tout simplement l'ajout d'une compétence. Le traitement nécessite un suivi beaucoup plus attentionné. Mais cela permet au client d'acquérir à la fois des connaissances, mais aussi des réflexes en un temps record. Cela varie d'une personne à l'autre : nouveau sport, nouvelle langue, mais aussi connaissances particulières dans un domaine donné, ou tout simplement un vécu dans un autre pays.
Cette opération n'est pas sans risque, néanmoins notre agence est suivie par le comité de déontologie de la mémoire.
Aujourd'hui, nous travaillons de concert avec le ministère de la Défense qui a souhaité qu'on intervienne dans la lutte anti-terroriste. Notamment pour reconditionner certains agents trop longtemps sur le terrain pour effacer certains souvenirs gênants mais aussi sur leurs demandes pour oublier certaines expériences traumatisantes.
Nous avons en parallèle une nouvelle offre classée confidentielle : afin de faire parler les témoins / suspects sous le Patriot Act, nous implémentons des traumatismes. Et donnons aux interrogateurs des moyens de pression réellement efficaces.
Contactez notre agence au...
[mode fiction off]
Certains passages de cette nouvelle ne sont pas tout à fait des fictions... Et aujourd'hui ,on vend de la vérité, la réalité attend son heure. Pensez vous avoir le choix de refuser cette offre ?
« (...)Vous pouvez retrouver l'intégralité de ce texte dans un fascicule intitulé Les grands discours. "Elles sont 300.000 chaque année " : discours de la ministre Simone Veil pour le droit à l'avortement devant l'Assemblée nationale, 26 novembre 1974. publié aux éditions Points au prix de 3€.
Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme _ je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes: aucune femme ne recourt de gaieté de coeur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes.
C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame...
C'est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s'il admet la possibilité d'une interruption de grossesse, c'est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme.
Nous pensons ainsi répondre au désir conscient ou inconscient de toutes les femmes qu se trouvent dans cette situation d'angoisse, si bien décrite et analysée par certaines des personnalités que votre commission spéciale a entendues au cours de l'automne 1973.
Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation ce détresse, qui s'en préoccupe? La loi les rejette non seulement dans l'opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l'anonymat et l'angoisse des poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent elles ne trouvent personne pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection.
Parmi ceux qui combattent aujourd'hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d'aider ces femmes dans leur détresse? Combien sont-ils ceux qui au-delà de ce qu'ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l'appui moral dont elles avaient grand besoin ?
Je sais qu'il en existe et je me garderai de généraliser. Je n'ignore pas l'action de ceux qui, profondément conscients de leurs responsabilités, font tout ce qui est à leur portée pour permettre à ces femmes d'assumer leur maternité. Nous aiderons leur entreprise; nous ferons appel à eux pour nous aider à assurer les consultations sociales prévues par la loi.
Mais la sollicitude et l'aide, lorsqu'elles existent, ne suffisent pas toujours à dissuader. Certes, les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes sont parfois moins grave qu'elles ne les perçoivent. Certaines peuvent être dédramatisées et surmontées; mais d'autres demeurent qui font que certaines femmes se sentent acculées à une situation sans autre issue que le suicide, la ruine de leur équilibre familial ou le malheur de leurs enfants.
C'est là, hélas!, la plus fréquente des réalités, bien davantage que l'avortement dit "de convenance".
S'il n'en était pas ainsi, croyez-vous que tous les pays, les uns après les autres, auraient été conduits à réformer leur législation en la matière et à admettre que ce qui était hier sévèrement réprimé soit désormais légal ?
Ainsi, conscient d'une situation intolérable pour l'Etat et injuste aux yeux de la plupart, le gouvernement a renoncé à la voie de la facilité, celle qui aurait consisté à ne pas intervenir. C'eût été cela le laxisme. Assumant ses responsabilités, il vous soumet un projet de loi propre à apporter à ce problème une solution à la fois réaliste, humaine et juste.
(...) »
Je suis coordinateur du comité national de soutien à Salah Hamouri, constitué depuis deux ans. Le comité de parrainage pour la libération de Salah comporte quelque chose d'assez exceptionnel puisque de la droite jusqu'à l'extrême gauche, l'ensemble des forces politiques françaises y sont représentées d'une façon ou d'une autre.
J'ai eu la maman de Salah ce matin. Evidement vous imaginez bien combien la situation est difficile. Cela fait cinq ans jour pour jour que Salah est en prison. Il commence aujourd'hui sa sixième année de prison, lui qui a été condamné à sept ans au terme, non pas d'un plaider coupable, mais comme on dit là-bas, d'un "arrangement" : c'était ou sept ans ou quatorze ans, pour des faits improuvés et improuvables puisqu'ils n'ont pas eu lieu. Simplement, comme le dit le tribunal militaire, "parce qu'il aurait eu l'intention de". C'est donc uniquement sur des intentions supposées de Salah Hamouri que celui-ci est en prison.
Salah vit à Jérusalem-Est. Autrement dit, comme Jérusalem est occupé, tous les Palestiniens qui vivent à Jérusalem-Est n'ont pas de nationalité. Ils ne sont ni Palestiniens ni Israéliens. En l'espèce, Salah est de naissance franco-palestinien mais en droit, il n'est que français du fait de l'occupation israélienne, voulu par elle, et de manière durable et incompressible. Donc nous avons des responsabilités supplémentaires du fait qu'il ne soit QUE français. Et c'est incroyable que Que français, il soit aujourd'hui dans le monde le seul prisonnier politique, clairement politique depuis cinq ans, pour lequel les autorités françaises ne font rien, strictement rien. Comme le dit Rony Brauman dans L'Humanité de ce matin, il a un défaut. C'est que dans "franco-palestinien", il y a un mot de trop. C'est "palestinien". Voilà pourquoi Salah est en prison. Parce qu'il est PALESTINIEN. Et parce qu'il refuse, c'est vrai, l'occupation. Et ce n'est pas un délit. C'est un honneur.
Ce n'est pas ici, devant cet endroit qui a reçu le Général de Gaulle à la Libération parlant de "Paris libéré..."etc... qu'on va nous faire le coup de dire qu'un tribunal militaire peut avoir la moindre légitimité que ce soit. C'est en effet un tribunal militaire qui avait condamné le Général de Gaulle en 1940. En 1940, parce qu'il avait choisi la Résistance, de Gaulle a été condamné par un tribunal de collabos à la peine de mort par contumace et à la déchéance de sa nationalité française. Et cet homme, qui est venu ici parler de Paris martyrisé, cet homme-là est devenu un héros comme des milliers d'autres, des héros. Salah ne demande pas le statut de héros. Salah est l'expression de tout un peuple sous l'occupation. Salah est l'expression ultime de l'injustice que vit ce peuple. Il est l'expression que si on ne veut pas résoudre ce problème, on ira vers des difficultés de plus en plus grandes dans cette région du monde qui nous toucheront directement. Aider Salah c'est bien sûr l'aider parce que, à la différence des animaux, nous sommes des êtres humains et donc des êtres sociaux, et donc des êtres capables de solidarité. Nous pensons à lui comme ça. Mais aider Salah, c'est aussi nous aider nous-mêmes.
J'irai au mois d'avril rencontrer Salah, j'ai l'autorisation. Aujourd'hui en France dans différents endroits, des initiatives petites ou grandes ont lieu et ça continuera. Il faut savoir que nous avons édité une carte T qui a été publiée dans trois journaux. Aujourd'hui en France, ce ne sont pas moins de trois cent mille personnes, alors que c'est le mur du silence le plus total qui existe à propos de Salah Hamouri, un silence voulu qui constitue sa deuxième prison en vérité, et bien malgré cela trois cent mille personnes dans ce pays à coup d'internet, à coup de bonne volonté, à coup de coeur, à coup de passion, à coup de raison ont les capacités de s'exprimer en direction du Président de la République, avec une double exigence fondamentale, simple, conforme au droit et à la justice, lui qui avait dit qu'il irait au secours de tous les Français à travers le monde quoiqu'ils aient fait.
La double exigence est claire. Monsieur le Président de la République française, vous êtes une honte pour notre pays à ne pas recevoir la maman de Salah Hamouri comme vous avez reçu toutes les autres familles. Toutes les autres familles, vous les avez reçues et vous refusez expressément de la recevoir. Vous êtes une honte, Monsieur le Président, une honte pour la France. La France défigurée, c'est vous. Et la deuxième exigence que nous formulons est tout aussi claire. Il faut agir parce que c'est possible, parce que vous en avez les moyens. Agir au lieu de recevoir en grande pompe l'ensemble des dirigeants israéliens ici, au lieu d'inaugurer prochainement quelque stèle ou quelque promenade. Vous avez les moyens ici d'exiger une chose simple : Salah Hamouri à la maison, c'est-à-dire à Jérusalem, dans sa famille avec son papa Hassan, avec sa maman Denise, avec son frère et sa soeur.
Salah, on pense à toi. Je lui dirai dans un mois dans sa prison. Il faut que, comme le dit Le Chant des Partisans, nous brisions les barreaux des prisons qui enferment Salah. Ce qui sera important pour Salah, mais c'est aussi, en faisant sortir Salah de la prison, faire sortir la paix tout simplement dans cette région du monde de la prison. Car nous voulons la paix et ça suffit les prisonniers politiques.
Ça me touche beaucoup que tu me demandes de faire le Gloomy Monday. J'ai choisi un extrait d'opéra, que j'aime particulièrement. Il parle d'espoir, d'amour malgré toutes les épreuves de la vie. Une leçon importante, qu'il faut garder en tête quoiqu'il arrive, même dans les moments les plus sombres. La première fois que je l'ai entendu, moi qui n'aimais pas plus que ça l'opéra, ça a été une révélation, un choc musical, quelque chose qui te prend au ventre et qui te porte. J'espère que cet extrait t'apportera autant d'émotion qu'à moi.