jeudi 4 février 2010

La griffe de l'Histoire, hommage à Howard Zinn



Tout ce que je savais de lui c’est qu’il était l’auteur d’une quasi-encyclopédie sur l'histoire moderne américaine (de 1472 à nos jours)*, critique, marxiste et en-dehors des sentiers battus. Une oeuvre colossale qui, contre toute attente, reste aujourd'hui un vrai succès de librairie, après 2 millions d'exemplaires vendus et 5 rééditions depuis 1980. En apprenant sa mort la semaine dernière, j'ai découvert l'humaniste, le progressiste, le rebelle et j'ai senti le souffle d'une liberté folle, inventée et réinventée dans un siècle qui s'est employé à corseter, et à recorseter après la parenthèse enchantée des 60-70's, les esprits avides de vie.

Howard Zinn, cet amoureux de la vie, est décédé à l'âge de 87 ans. Cette nouvelle est passée quelque peu inaperçue à cause du décès, le même jour, de J.D. Salinger, un autre esprit non conventionnel américain. Elle n'en constitue pas moins un écueil important dans l'histoire de la pensée américaine qui perd l'un de ses fleurons.

Ironiquement, les décès de ces deux grands Américains, chacun dans leur domaine, semblent se répondre. Ils furent tous deux témoins et acteurs de l'un des épisodes les plus meurtriers du XXème siècle, la Seconde Guerre Mondiale. Elle aura marqué et déterminé la suite de leurs existences respectives.

Le premier a choisi de s'extraire du monde. Salinger à débarqué en Normandie, a libéré Paris, est entré en Allemagne, peut-être même a-t-il vu les camps de la mort. En 1950, il a publié une nouvelle relative à la guerre au titre évocateur, Pour Esmé avec amour et abjection. Dès le milieu des années 50, après le succès de L'Attrape-coeurs, il choisit la réclusion volontaire, écrivant sans publier.

Le deuxième a préféré protester, manifester, revendiquer, expliquer, sans jamais s'épuiser. Howard Zinn, aviateur, a participé au bombardement de Royan. Dans son autobiographie, il raconte que les Allemands qui se trouvaient alors dans la ville française, avaient cessé le combat et attendaient l'armistice. Ils ne représentaient donc pas une menace militaire. La gratuité de ce bombardement dont le véritable but fut la première expérimentation du napalm, lui ouvre la voie de la dissidence, lui montre le chemin de la désobéissance civile qu'il n'aura de cesse de prôner par la suite. Cette guerre dans laquelle il s’était engagée par conviction antifasciste va le propulser dans le monde.

Howard Zinn Pictures, Images and Photos
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"Il n'y a pas de drapeau assez large pour couvrir la honte de tuer des innocents"


Son statut de soldat démobilisé lui permettant de s'inscrire gratuitement à l'université, il se tourne naturellement vers l'histoire et la sociologie, dont il réussira, au fil des années et de son travail, à transmettre des valeurs bien éloignées des va-t-en-guerre, bushers et autres cyniques financiers. Lui-même d'origine modeste, il a su faire entendre la voix des petites gens. Il donnait la parole aux humbles, aux oubliés, aux humiliés, aux broyés de l'histoire et du rêve américain pour en dévoiler le côté sombre. Indiens, esclaves, ouvriers et syndicalistes, femmes, Noirs. Son premier combat fut pour le mouvement des droits civiques pour les Afro-américains dans les années 50.


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"Contester la loi n'est pas une entorse à la démocratie ; cela lui est essentiel"


Ce professeur émérite de l'Université de Boston a toujours préconisé la désobéissance civile pour ne pas tomber dans "l'obéissance civile" beaucoup plus dangereuse. Pacifiste convaincu, il fustigeait le délire d'hyper-puissance américain et croyait au "refus massif" de se battre des populations pour enrayer états de guerre et terrorisme. Il s’est également prononcé contre la peine de mort, pour le démantèlement de l'Otan qu'il voyait comme un instrument d'asservissement par les Etats-Unis.

Et ne serait-ce que pour juger du degré d’humanisme qui habitait cet intellectuel d’une gauche bien silencieuse en Amérique, il n’y a qu'à se pencher sur les titres de quelques uns de ses livres :

- You Can't Be Neutral on a Moving Train : A Personal History of Our Times, traduit par L’Impossible Neutralité. Autobiographie d’un historien et militant se traduirait mot à mot "Vous ne pouvez être neutre dans un train en marche : une histoire personnelle de notre temps".

- Hiroshima : breaking the silence ou "Hiroshima, briser le silence".

- Voices of a People's History of the United States ou "Les voix d’une histoire populaire des Etats-Unis".

- The People Speak. American Voices, Some Famous, Some Little Known ou "Le peuple parle. Voix américaines, certaines célèbres, certaines peu connues."


Reste à savoir quand les graines qu’Howard Zinn, par son engagement politique, aura su semer seront près d’éclore sur le terreau des Etats-Unis d’Amérique.



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* Une histoire populaire des États-Unis d’Amérique : de 1492 à nos jours ; trad. de l’anglais par Frédéric Cotton Traduction de : A people’s history of the United States : 1492-present. Marseille : Agone

10 commentaires:

Martial a dit…

Pas mal, l'article ...! Restent les méchants

Angelina a dit…

Comme toujours. D'ailleurs vous êtes toujours là que je sache. ;)

Martial a dit…

Comment savez-vous que je suis méchant ?

Angelina a dit…

Simple déduction mathématique suite à votre commentaire.

Martial a dit…

mathématique...? Aléa jacta est !

Denis a dit…

Merci, je partage.

Gio a dit…

Idem!

Franck a dit…

Très intéressant! Merci Bcp Angélina
je ne connaissais pas celui-là

Sandrine a dit…

"Désobeissance civile" : à lire, relire et re relire. Un passage qui m a marquée : le bombardement de dresde durant la scde guerre mondiale. Aprés lui, il ne manque plus que chomsky file aussi, et punaise... On sera bien seuls.

Mehdi a dit…

Très intéressant.merci angelina tu es inteligensse